Yann & André Juillard, Double 7

Roméo et Juliette dans la guerre civile…

Yann ins­talle une his­toire sen­ti­men­tale la façon de celle de Roméo et Juliette dans un cadre dan­tesque. Au cœur d’un conflit ter­rible — la sau­va­ge­rie était égale quel que soit le bord, où les enne­mis ne manquent pas — deux jeunes gens sont irré­sis­ti­ble­ment atti­rés l’un vers l’autre. Une telle liai­son amou­reuse peut-elle per­du­rer dans un décor aussi dan­ge­reux, où la mort peut frap­per à tout moment ?
Paral­lè­le­ment, le scé­na­riste raconte, détaille le cadre de l’action, les débuts de cette guerre civile com­men­cée le 17 juillet 1936 au Maroc espa­gnol par un coup d’État des natio­na­listes. Autour des Espa­gnols qui se déchirent Alle­magne et l’Italie arment les rebelles. La France est fri­leuse et seuls des volon­taires partent se battre. Sta­line envoie des avions. Mais il fait sem­blant d’aider les com­mu­nistes espa­gnols. Il ne veut pas que les Répu­bli­cains gagnent car il y a, à son goût, trop d’anarchistes, de trots­kistes, trop de mar­xistes qui ne suivent pas les direc­tives de Moscou.

À la fin de l’année 1936, l’Espagne est cou­pée en deux par la guerre civile entre les Répu­bli­cains et les rebelles de Franco. La ville de Madrid, tenue par les Répu­bli­cains, est atta­quée, bom­bardé par les avions alle­mands de la Légion Condor. Elle est défen­due par des avia­teurs étran­gers, russes qui pilotent des Mosca, appa­reils envoyés par Sta­line. Dans l’escadrille Double 7, c’est un trio qui mène la danse. Autour de Roman Kapu­lov sur­nommé Le roi des Mosca, Ajax Tink­baum ex-pilote de l’US Navy et Jean Dary, un héros de Ver­dun, venant de l’escadrille Mal­raux dis­soute.
Lulia Mon­tago s’est enga­gée dans les rangs répu­bli­cains et mène des com­bats ter­restres. Si Roman est intré­pide, très cou­ra­geux dans les airs, il est plus réservé sur le sol, notam­ment avec les femmes. Il se confronte cepen­dant à Fri­pia­tov un de ces com­mis­saires poli­tiques envoyés par Sta­line pour sur­veiller les pilotes, évi­ter qu’ils ne fassent trop de zèle et pour contrô­ler les Répu­bli­cains.
Ces der­niers doivent se battre sur au moins deux fronts ; contre les troupes de Franco ; contre les com­mis­saires poli­tiques qui n’hésitent pas à faire des purges sévères. Acces­soi­re­ment, entre eux, entre milices menées par des voyous ou pour d’obscures diver­gences poli­tiques. Alors qu’ils sont dans un bar, arrive El Enter­ra­dor, un ex-fossoyeur qui, à la tête d’un groupe, sème la ter­reur et les cadavres sur son pas­sage. Ils viennent de s’emparer des jeunes reli­gieuses à qui ils veulent faire pas­ser un mau­vais quart d’heure. Roman et ses amis inter­viennent juste avant que les Mujeres Libres menées par Lulia, la fille de La Pasio­na­ria des anar­chistes du CNT, ne prennent la situa­tion en mains. Les regards de Lulia et Roman se croisent…

Dans cet album, le scé­na­rio de Yann pré­fi­gure ce qui va se pas­ser en juin 1937 avec le coup de force contre le Parti Ouvrier Mar­xiste et la Confé­dé­ra­tion Natio­nale du tra­vail. De plus, Sta­line a pillé l’or espa­gnol fai­sant emme­ner à Mos­cou 710 tonnes de ce métal pré­cieux pour, soi-disant, le mettre à l’abri. L’Espagne n’a jamais rien revu, ne serait-ce qu’un gramme…
Lulia fait par­tie des Mujeres Libres, ces femmes qui se bat­tues pour la cause fémi­nine. Elles ont obtenu le droit de vote dès 1931 (Le 21 avril 1944 en France !), le droit à l’avortement en… 1936. Elles veulent se battre, se font pho­to­gra­phier avec des fusils mais elles en sont empê­chées par les hommes qui les envoient dans les usines cali­brer des muni­tions ou pour nour­rir les com­bat­tants et laver leur linge. Elles avaient encore de sacrées murailles à abattre !

Yann met en scène le couple Ernest Heming­way et Mar­tha Gell­hom, leur fai­sant tenir, comme his­to­ri­que­ment, un rôle non négli­geable. Le gra­phisme d’André Juillard est magni­fique. Son style bien par­ti­cu­lier, recon­nais­sable entre tous, fait d’un des­sin réa­liste, d’une mise en scène à la brillante effi­ca­cité dans une mise en page clas­sique, emporte l’adhésion. Tout est fine­ment pensé, pesé, détaillé pour rendre le meilleur.

Avec Double 7, les deux auteurs signet un album d’une qua­lité excep­tion­nelle par le choix et le trai­te­ment du sujet et par sa mise en images unique.

serge per­raud

Yann (scé­na­rio) & André Juillard (des­sin et cou­leur), Double 7, Dar­gaud, octobre 2018, 72 p. – 16,95 €.

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