Le cri du mort courant fait suite au Cri du corps mourant (cherche midi – 2017). François Guibertin, dix ans, est enlevé par son père, un alcoolique recruté par Herbert de Visenchy, un ancien médecin reconverti dans le rapt. Puce, la demi-sœur de François, aidée de ses camarades de collège, décide d’enquêter parallèlement à la police. Ils réussissent à délivrer le jeune garçon, mais de Visenchy se lance à leur poursuite pour les éliminer. C’est sous le tunnel de la Défense que Puce, anorexique, dans un dernier effort tire avec une arme à feu…
Le second volet s’ouvre lorsque Puce se réveille dans le service de réanimation polyvalente de l’hôpital Cochin. Après le choc, le bruit d’enfer des trois coups de feu, François comprend que sa sœur vient de lui sauver la vie. Il est coincé sous le corps de Visenchy. Louis qui l’aide à se dégager constate que l’homme vit encore. Parce qu’il était venu avec la voiture de ses parents, que celle-ci est accidentée, Louis décide de rester sur place. Il prévient les secours et enjoint Mourad de partir immédiatement avec Blanche et Castille dans la Mercedes de Visenchy. Pendant qu’ils roulent, un téléphone portable sonne. Parce qu’ils ne répondent pas un message s’affiche… en allemand.
Raoul, le père criminel de François, et Ruby blessé à l’épaule tentent de regagner Paris en scooter. Maarek et Barsky, le binôme de policiers en charge de l’affaire rentre quand ils aperçoivent cette moto qui les intrigue… C’est l’inspecteur Réza Hamdani, qui se rend sur les lieux et qui tente de comprendre l’imbroglio…
La suite des aventures de ce “Club des Cinq” sous psychotropes est aussi déjantée que les précédentes. Marcel Audiard, le petit fils de Michel Audiard, le célébrissime dialoguiste, suit les traces de son aïeul pour conter des aventures tonitruantes, décalées. Il propose une intrigue où s’entremêlent des trajectoires qui semblent partir dans tous les sens. Mais le romancier ne perd pas l’objectif à atteindre et la finalité de son histoire. Il est souhaitable de se laisser emporter par cette logorrhée écrite, se régaler des images crues, saignantes.
Jonglant avec les poncifs de toutes natures, les appuyant pour en montrer le ridicule, il brosse des portraits au vitriol, une belle galerie de magnifiques antihéros. L’auteur manie le cynisme en virtuose, osant des images en lien avec l’actualité. Ainsi lorsque le médecin urgentiste tente de ramener Visenchy à la vie : “L’énergie qu’il déployait pour le massage cardiaque aurait permis à n’importe quel passeur libyen un peu facétieux de gonfler dix rafiots pneumatiques pour la traversée jusqu’à Lampedusa.”
Mais, sous un aspect délirant, échevelé, à la façon d’un San-Antonio de la meilleure cuvée, il épingle avec justesse des situations navrantes de notre société. Evoquant le milieu médical, milieu qu’il connaît bien, le romancier dénonce : “…on ne pouvait pas en dire autant du personnel de bureau, devenu pléthorique, à l’inverse des candidatures d’infirmières. Le client réclamait des blouses blanches, mais l’État leur préférait des agents de contrôle pied au plancher sur les freins de la dépense.“
Dans le choix des titres, il faut voir un hommage à son grand-père qui avait scénarisé, dialogué et réalisé Le cri du cormoran le soir au-dessus des jonques, une comédie grinçante animée par l’irremplaçable Michel Serrault. C’est avec l’humour que l’on peut dire les choses les plus justes, les plus percutantes. Et Marcel Audiard ne s’en prive pas.
Le cri du mort courant invite le lecteur à une rencontre peu commune, celle d’un récit tonique décoiffant, mais fort bien venu dans notre époque où la langue de bois est un peu trop généralisée.
serge perraud
Marcel Audiard, Le cri du mort courant, cherche midi, octobre 2018, 384 p. – 18,00 €.
Voilà une critique drôlement fouillée. J’ai la curieuse impression que vous êtes entré par effraction dans ma caboche.
Quoiqu’il en soit, merci: je m’y retrouve pleinement.
Marcel Audiard.