Elle laisse passer ce qui mystifie les humains
Au Kenya, en 1997, Tracy Morgan rêve qu’elle est menacée par un éléphant. Elle était infirmière dans l’US Army. Lassée de tant d’horreurs, elle a démissionné et est entrée au service d’une grosse agence de voyages spécialisée dans l’organisation de safaris particuliers. Elle s’est retrouvée au cœur de la brousse en compagnie de Russel Swanson, le chasseur, un clone improbable de Clark Gable et de Diolo. Ce porteur de fusil est en réalité un sorcier congolais dissident qui a fui les hommes léopards.
La clientèle se compose de golden boys de la finance, du cinéma… qui s’imaginent être de grands aventuriers. L’aura de grand chasseur de Russel est ternie lorsqu’un éléphant fou anéantit des chasseurs noirs. Mais, quand une star hollywoodienne se fait tuer par un fauve, suite à une imprudence de sa part, la faute rejaillit sur Russel. Il doit quitter le poste. Tracy décide le suivre comme Diolo.
Alors qu’elle emballe leurs maigres possessions, un avion-taxi amène un avocat. Il est mandaté par Adriana Hofcraft pour retrouver quelqu’un qui s’est perdu dans la jungle au Congo-Kinshasa suite au crash de son appareil. Les recherches doivent s’effectuer dans la discrétion. Tracy trouve à cet avocat l’air d’un type qui vient de commettre une mauvaise action, qui le sait et en a déjà honte. Et dès l’embarquement à bord de l’avion qui les emmène vers Adriana qui va tout expliquer, Tracy pressent des choses troublantes, étranges. Mais ils ont besoin de ce contrat…
L’intrigue se fonde sur plusieurs éléments authentiques ou pouvant être bien réels. Serge Brussolo joue sur le fait que le Congo est l’un des deux fleuves terrestres qui est suffisamment profond pour le remonter en sous-marin. Il met en scène un milliardaire ayant pour passion la traque des cités perdues. Il a disparu mais il est impossible de localiser le lieu du crash par les moyens modernes car son appareil est un prototype furtif. Il faut donc se rendre sur place, par des chemins terrestres à travers la jungle pour espérer trouver quelque chose.
L’idée est tout à fait plausible. Il faut se rappeler cet avion de ligne de la Malaysia Airlines disparu sans laisser de traces dans l’océan Indien avec 239 personnes à bord, il y a quatre ans.
L’espionnage industriel dans les technologies de pointe est un des ressorts du récit avec le contenu de cette légende récurrente quant au pseudo suicide d’Hitler dans son bunker le 30 avril 1945. Il choisit également, en plaçant le cadre de son intrigue en 1997 au Congo, la période et les lieux propices. Mobutu est en fuite laissant un pays exsangue économiquement, en conflit avec de nombreux pays voisins et en pleine guerre civile. C’est le chaos.
Avec la jungle et tous les pièges qu’elle peut recéler, les fauves et animaux sauvages, le romancier se régale à accroître les péripéties et, en conséquence, régale ses lecteurs. Il multiple, comme il en a le secret, les informations et les contre-informations, remettant en cause des affirmations de ses personnages, prouvant qu’en fait c’est le contraire . La réalité, la vérité sont autres. Ainsi, chaque étape est remise en cause avec un brio exceptionnel.
Avec La Porte d’ivoire qui tire son titre de la perception du sommeil dans la mythologie grecque, Serge Brussolo signe un nouveau thriller redoutable de tension, de rouerie, de traîtrises, de mensonges, de non-dits… enfin tout ce que l’homme a pu inventer pour tromper son prochain.
Avec tous ces éléments, et bien d’autres, le romancier signe un récit additif qui décroche le Prix du roman d’aventure 2018.
serge perraud
Serge Brussolo, La Porte d’ivoire, Édition du Masque, octobre 2018, 384 p. — 8,20 €.