Les tribulations d’une belle héroïne au pays des songes
Coraline a été engagée comme préceptrice de Vernère, un jeune garçon propriétaire d’un vaste domaine. C’est un génial inventeur de machines, toutes plus fantastiques les unes que les autres. La mission de la jeune (et jolie) femme consiste à le distraire pour le sortir de son univers créatif. Cependant, celui-ci se montre très rétif à quitter son domaine de prédilection. Et les nuits de Coraline se peuplent de cauchemars. Elle entend du bruit dans sa penderie. Celle-ci s’ouvre sur des mondes imaginaires, des univers dangereux…
Le second album commence quand Coraline revêt un ensemble de voiles et se retrouve au pied d’un château où tous les habitants dorment. Après être passée auprès d’une série de groupes assoupis : Blanche-neige et les nains pelotonnés près d’elle, le petit Chaperon Rouge et le loup, Jack et son haricot…, elle rencontre, alors, un prince près d’une pile de matelas qui lui fait essayer diverses chaussures. Un miroir magique l’engage à suivre les ordres de ce preux qui a bravé mille dangers pour être là. Mais cela recèle un piège que Coraline évite de justesse. Elle comprend que ses rêves ne sont pas dus au hasard, qu’elle est manipulée, tant par l’adolescent que par les domestiques qui l’entourent. Aussi, quand Vernère lui propose de goûter un nouveau nectar, elle fait semblant de boire et de s’endormir. Elle entend deux domestiques évoquer un voyage… ramener… un élixir… Elle suit la femme qui entre, en prononçant un mot de passe, dans une étrange bâtisse.
Dans un décor steampunk, un univers à la Jules Verne, Denis-Pierre Filippi plante une histoire entre monde réel et mondes oniriques où les passages sont facilités, semble-t-il, par quelques drogues appropriées. Le scénariste revisite les thèmes classiques de la littérature d’aventures faisant intervenir des corsaires dans une bataille navale, le naufrage d’un navire qui ressemble au Titanic, le monde de Tarzan, celui d’Alice, de Walt Disney et ses mièvreries. Il s’inspire, également, des héros de contes populaires et confronte son héroïne à d’effroyables protagonistes et des aventuriers de toutes sortes. Mais, contrairement à ce qui se passe d’ habitude dans la littérature d’aventures où le beau héros consacre une grande partie de sa vie à sortir la belle et fragile héroïne des griffes de méchants, Caroline se défend seule. Sous des airs de biche effarouchée, de plantureuse beauté lascive, elle prend son destin en main. C’est elle qui ira au bout de l’aventure et dénouera les fils de l’intrigue.
Denis-Pierre Filippi ne se borne pas toutefois à mettre Coraline en situation difficile, il donne une dimension supplémentaire à son histoire avec des apports psychologiques intéressants. Peut-on alors reprocher à l’auteur de mettre trop souvent son héroïne en situation de dévoiler sa plastique ? Celle-ci étant irréprochable, ce travers devient très acceptable !
La mise en images est signée par Terry Dodson. Celui-ci s’est forgé une réputation de dessinateur maîtrisant parfaitement les courbes féminines. Cependant, s’il présente une Coraline qui attire indiscutablement le regard, il ne faut pas pour autant négliger les décors et le reste des vignettes, qui valent largement qu’on s’y intéresse. En effet, il met en scène des paysages superbes, crée des machines formidables, le tout servi par un trait net, vif, dynamique.
Songes est un dytique fort réussi, avec des couvertures, et un graphisme, qui renouent avec les illustrations de la Belle Époque, quand Mucha, par exemple, créait ses époustouflantes affiches.
serge perraud
Denis-Pierre Filippi (scénario), Terry Dodson (Dessin), Rebecca Rendon et Terry Dodson (couleurs), Songes, –t ome 2 : “Célia”, Les Humanoïdes Associés, octobre 2012, 48 p. – 14,99 €.