Gioacchino Criaco, La Soie et le fusil

Entre mytho­lo­gies et mafias, l’élan de deux êtres…

Alfonso Ther­rime et Sil­ves­tro Domi­nici, res­pec­ti­ve­ment de Coraci et d’Ascruthia, se retrouvent face à face, sépa­rés par l’Allaro, une rivière deve­nue fleuve après une quin­zaine de jours de pluie dilu­vienne. Et l’eau a entraîné, avec elle, les allu­vions fer­tiles. Alfonso et Sil­ves­tro, à la tête de leur clan, se font la guerre pour la pos­ses­sion de ces terres riches, une dis­pute sans fin. Les Ther­rime sont venus d’Albanie pour ser­vir le roi d’Aragon et les Domi­nici sont ren­trés après avoir quitté cette région, sur ordre de l’Être Suprême, pour défendre leur foi.
À l’aube, Sil­ves­tro s’éveille avec une révé­la­tion. Il faut suivre le cours d’eau et aller où la terre fer­tile est par­tie. Il réunit son clan, arrive au bord de l’Allaro, pour être rejoint par le clan d’Alfonso qui a eu la même idée. Les deux groupes se réunissent, mettent de côté les haines. Cepen­dant, sur ces nou­veaux ter­ri­toires, ils vivent cha­cun de leur côté, sans se mêler, sauf un jour dans l’année où tous se retrouvent pour hono­rer le saint patron du lieu et visi­ter les deux vil­lages de mon­tagne aban­don­nés.
Quelques années plus tard Julien, le petit-fils de Sil­ves­tro, ren­contre Agnèse Ther­rime et en tombe amou­reux. Seule­ment la jeune fille a un frère jumeau, Alberto, qui voit d’un très mau­vais œil la liai­son de sa sœur.
Et c’est un pro­jet de route cou­pant les jar­dins qui ramène la “peste”. Celle-ci emporte jusqu’aux parents de Julien, conduit la mère d’Agnèse à par­tir rapi­de­ment. Julien prend le fusil…

Le récit passe par trois nar­ra­teurs prin­ci­paux qui expose leur vision, leur res­senti des situa­tions en fonc­tion de leur moti­va­tion, de leurs sen­ti­ments et de leur sen­si­bi­lité. Julien raconte sous le nom du Greko, Agnèse est La Nymphe et Alberto Le Chiot. Si les com­po­santes de l’intrigue peuvent faire pen­ser à d’autres récits célèbres, le trai­te­ment, l’assemblage, le cadre et l’angle d’approche qu’en fait le roman­cier sont habiles, ancrés dans une société agraire et retiennent l’attention par un côté nova­teur.
Outre les péri­pé­ties d’un amour fou, qu’il est tou­jours plai­sant de suivre à défaut de le vivre, l’auteur dépeint, à tra­vers l’histoire de deux familles, la vie dans l’Aspromonte, une région de la Calabre. Il évoque aussi ces migra­tions dont on parle tant aujourd’hui, mais qui ont existé de tous temps. Ainsi, l’Aspromonte a été fon­dée par des femmes venues de Grèce pour construire une société matriar­cale paci­fi­ca­trice. Si le titre ita­lien, Il sal­to­zoppo, peut s’entendre comme Le saut à cloche-pied, le titre fran­çais fait réfé­rence à ces mères tis­seuses dans les vil­lages qui tra­vaillent la soie et qui, en cati­mini, nouent des attaches entre les géné­ra­tions, pro­tègent et érigent des rap­ports plus forts que ceux des armes. Les mafias sont très pré­sentes avec celle d’origine locale dénom­mée la ‘ndran­gheta et, sur­tout en seconde par­tie, les triades chinoises.

Avec La Soie et le fusil, Gioac­chino Criaco signe une brillante fable où il mêle avec un égal bon­heur des thèmes mytho­lo­giques, bibliques avec inter­ven­tion des dieux, de leurs malé­dic­tions repré­sen­tées, entre autres, par le monde exté­rieur et la mondialisation.

serge per­raud

Gioac­chino Criaco, La Soie et le fusil (Il sal­to­zoppo), tra­duit de l’italien par Serge Qua­drup­pani, Métai­lié Noir, coll. “Biblio­thèque ita­lienne”, avril 2018, 208 p. – 18,00 €.

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