Guillaume Sorel, Bluebells Wood

Une fable inti­miste et somptueuse

Une vue autom­nale sur une plaine, sur un jeune che­vreuil sou­dain pour­chassé par un molosse. Il pénètre dans une forêt. Une brume l’enveloppe. Son corps retombe dans une forêt fleu­rie, près d’une mai­son de pêcheurs. Alerté par le bruit, un peintre sort, trouve la bête morte et s’interroge : “Les che­vreuils ne tombent pas du ciel.” Il dépèce l’animal, prend ce dont il a besoin et aban­donne le reste aux crabes. Il raconte l’anecdote à Vic­tor, son ami et agent, venu prendre de ses nou­velles et qui déguste cette daube aussi déli­cieuse que celle que fai­sait Hélèna. Cette remarque fâche William qui est venu dans ce lieu désert pour se recons­truire. Outre Vic­tor, il ne voit que Rosa­lie, une jeune femme qui lui sert de modèle et vient régu­liè­re­ment.
Parce que le temps est beau, il prend sa barque pour aller peindre en mer. Sou­dain, il est atta­qué par deux sirènes. Sa situa­tion est cri­tique quand une troi­sième s’interpose. Il reprend conscience sur la grève près de la sirène venue à son secours. Il fuit, se demande s’il rêve, puis voyant que les deux atta­quantes reviennent à la charge contre celle qui l’a sauvé, il s’arme d’une hache et la défend. Débute alors, pour William, une rela­tion hési­tante, indé­cise, qui oscille entre visions réelles et oni­riques. Est-il l’objet de chi­mères, la proie de fan­tômes qui dressent un voile et le coupent du monde ?

Guillaume Sorel ima­gine des sirènes assez éloi­gnées de la vision roman­tique qui a pu en être don­née. Il montre des êtres sau­vages, cruels, qui veulent tuer le peintre (pour le dévo­rer ?). Cepen­dant, l’une d’elle sait être belle, sédui­sante, atti­rante en aban­don­nant le côté ani­mal tout en res­tant sau­vage, indé­pen­dante. Le scénariste-dessinateur pro­pose, en une seule entité, la Belle et la Bête. Cette femme-poisson, qui pos­sède de fort belles jambes quand elle est en forêt, arrive dans un décor qui semble idyl­lique : une petite mai­son deve­nue un ate­lier d’artiste au pied d’une falaise, sur une grève face à une mer lumi­neuse, non loin d’un bois où s’ébattent écu­reuils, biches parmi les herbes sau­vages et les fleurs.
Là, un homme en deuil se remé­more et couche sur le papier, sur la toile, le sou­ve­nir de l’être aimé. Cepen­dant l’auteur, dès le début, intro­duit ce fan­tas­tique, ce fée­rique dont il est friand, qui a fait les belles heures de la lit­té­ra­ture anglo-saxonne du XIXe siècle. Et, peu à peu, tout bas­cule avec l’irruption, l’agression de ces créa­tures à qui il donne l’aspect de murènes pour le bas du corps.
Retrou­vant l’esprit de ce mytho­lo­gique qui l’attire, Guillaume Sorel pro­pose une magni­fique intrigue, jouant sur la per­cep­tion d’incertitudes, explo­rant les tour­ments du deuil, les cas­sures de l’âme. On retrouve des thèmes qui le hantent comme l’absence, la dou­leur, la dif­fé­rence qui amène la marginalité…

Avec cet album, il fait une large place à la nature, à la faune, à la flore, l’explorant dans ses moindres détails, mon­trant ses varié­tés et ses varia­tions. Comme tous les grands peintres, il est sen­sible aux varia­tions de la lumière et à ses consé­quences sur les objets, l’environnement, la peau des per­sonnes… Que dire du des­sin et des cou­leurs directes, sinon qu’elles sont magni­fiques. Et le mot est bien faible pour défi­nir la beauté de ces planches, le tra­vail sur les détails, le choix des cou­leurs, le dyna­misme des scènes, l’intensité des regards, l’expressivité des per­son­nages…
Guillaume Sorel est incon­tes­ta­ble­ment un des meilleurs illus­tra­teurs de notre époque, dou­blé d’un scé­na­riste sub­til et inti­miste qui offre de véri­tables ins­tants de bon­heur à la lec­ture de ses albums.

Ce récit se com­plète une intro­duc­tion de Pierre Dubois, une post­face de l’auteur et par un cahier d’esquisses, d’illustrations, de recherches de cou­ver­ture. Une pure merveille.

serge per­raud

Guillaume Sorel (scé­na­rio, des­sin, cou­leurs), Blue­bells Wood, Glé­nat, “Hors col­lec­tion”, avril 2018, 96 p. – 19,00 €.

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