Une étude sur les femmes de Louis XV est-elle condamnée à être un récit scabreux ? Le très beau livre de Cécile Berly nous prouve qu’on peut traiter de ce sujet avec sérieux, détachement et élégance.
La réputation de volupté de Louis le Bien Aimé n’est plus à faire. L’ouvrage non seulement le confirme mais trace le portrait d’un véritable obsédé sexuel auquel son entourage bien intéressé fournit son contingent de jeunes vierges ; un homme vigoureux et qui découvre dans sa vieillesse et dans les bras de la professionnelle du Barry des plaisirs inconnus jusque-là… La Cour de France, sans être un lupanar, apparaît comme un lieu de débauche où le souverain satisfait ses plaisirs dans le dédale d’alcôves des petits appartements. De quoi susciter les fantasmes tout aussi obscènes qui alimentaient les pamphlets qui, après Louis XV, se déchaîneront contre la malheureuse Marie-Antoinette.
Pourtant, Cécile Berly ne s’arrête pas à cela. Sous sa plume raffinée se lit un portait subtil de Louis XV qui, derrière les portraits de femmes ayant traversé sa vie et son lit, domine l’ensemble de l’étude. Un être mélancolique et seul, qui garda sans doute la trace de la succession de deuils qui décima la famille de Louis XIV et le porta sur le trône. Un souverain qui n’aimait pas son métier de roi ou en tout cas la part de représentation publique qu’il comportait. Un homme d’une grande beauté qui régnait sur le plus prestigieux royaume d’Europe et dans un décor enchanteur.
Et surtout un chrétien fervent, qui avait peur de l’enfer. Un pécheur qui savait ne pas pouvoir renoncer à sa vie de plaisirs et s’éloignait du sacrement de la communion pour mieux le respecter. En fait, un homme malheureux qui touche le lecteur.
Il vécut donc entouré de femmes depuis sa chère gouvernante Mme de Ventadour (qui aurait peut-être mérité un portrait) jusqu’à la sulfureuse Mme du Barry, en passant par la célébrissime Mme de Pompadour, à la fois maîtresse, amie, égérie. La malheureuse reine Marie Leszczynska est réhabilitée et on découvre l’intensité des liens qui les ont unis au début de leur mariage. Leurs filles ne sont pas oubliées, ces « Mesdames » qui aimèrent leur père, restèrent à ses côtés, œuvrèrent à son salut jusqu’à, pour Louise, prendre le voile. Sans oublier la petite-fille par alliance, la dauphine Marie-Antoinette, jeune et inexpérimentée dans une Cour guère désireuse d’accueillir l’Autrichienne de Choiseul.
Et puis toutes les autres, anonymes ou connues, qui satisfirent l’appétit sexuel du roi, dans la maison du Parc-aux-cerfs (dont la légende rose est remise en cause avec justesse) ou au palais, et qui donnèrent au règne de Louis XV une atmosphère dont l’Ancien régime aura à souffrir.
frederic le moal
Cécile Berly, Les femmes de Louis XV, Perrin, avril 2018 - 18,00 €.