Cela fait quelques années déjà que la famille Songoli a émigré d’Afrique pour s’installer dans une banlieue cossue londonienne. Le père, Ebuka, a une très bonne situation et offre à sa femme, Yetunde, et ses enfants, Abiola et Olubayo, tout ce qu’ils désirent. Chacun mène une vie idéale, à l’exception de Muna, une orpheline de quatorze ans, qu’ils ont recueillie alors qu’ils étaient encore en Afrique. Muna dort sur un simple matelas jeté au sol dans la cave, et n’est pas autorisée à sortir. Elle exécute toutes les tâches ménagères et elle est le souffre-douleur des deux enfants et de Yetunde. Quant à Ebuka, il lui fait régulièrement subir des sévices sexuels en toute impunité.
Ce qu’aucun de ses tortionnaires ne sait, c’est que Muna est extrêmement intelligente et qu’elle ourdit en secret sa vengeance. Et quand le jeune Abiola disparaît sur le chemin de l’école, et que Scotland Yard est chargé de l’affaire, les Songoli sont contraints de transférer Muna de la cave à une chambre décente, et de se comporter avec elle comme si elle était leur propre enfant. Muna, que l’on fait passer pour une retardée mentale, va enfin tenir sa revanche et peu à peu décimer cette famille de l’intérieur.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas Minette Walters, elle figure parmi les grands noms de la littérature policière de l’autre côté de la Manche, au même titre que Ruth Rendell, P.D James. Des romans comme Le sang du renard ou L’ombre du caméléon ont souvent été récompensés. Alors qu’elle aborde avec ce nouvel ouvrage un thème difficile et souvent rarement traité, l’esclavage moderne, on s’attend donc à être captivé par l’histoire de Muna et des Sogoli. Pourtant, après un début prometteur, la déception gagne rapidement le lecteur. Certes, le personnage de Muna, d’une rare intelligence, est bien campé. Elle se révèle une manipulatrice incroyable, qui tient enfin la possibilité de se venger, lorsque la police britannique s’intéresse de plus près à cette famille.
Mais l’auteur ne réussit pas à créer un véritable lien émotionnel avec son héroïne qui commet les pires méfaits avec un sang-froid implacable. Juste retour des choses pourrait-on dire après les sévices qu’elle a subis au quotidien. Et l’on pourrait s’en délecter, mais les scènes de torture et d’horreur sont trop présentes, et cette vengeance que l’on espérait subtile, perd de son intérêt au fil des pages.
Le livre nous dévoile cependant les outrages commis vis-à-vis de certains enfants, esclaves de leur famille (d’adoption ou pas !), et rappelle malheureusement trop certains faits divers. Les ‘mœurs’ de cette famille émigrée en Angleterre, son Eldorado, font également froid dans le dos. L’auteur nous amène aussi à réfléchir sur la notion de ‘faire justice soi-même’ ; jusqu’où peut-on aller pour retrouver sa dignité et liberté, sans justement les perdre totalement ? Pour justifier ses actes, Muna se persuade même d’être habitée par le démon comme le prétendent aussi ses persécuteurs. Après avoir passé autant de temps dans sa cave, sa raison a été plus affectée qu’on pourrait le penser et la victime devient bourreau.
Tant de noirceur n’arrive donc pas à convaincre le lecteur, les rebondissements sont énoncés sur la quatrième de couverture, et les deux fins proposées à la fin du roman n’apportent pas plus de satisfaction. Quel dommage pour un livre dont le sujet très sérieux aurait pu être tellement mieux traité !
franck boussard
Minette Walters, Dans la cave, Robert Laffont, 2018, 252 p. – 14,90 €.