Les vrais responsables de la Grande Guerre…
C’est la lecture d’un récent prix Goncourt qui interpelle l’auteur et l’offusque. Aussi sympathique soit-il, ce livre policier avec la guerre en toile de fond méritait-il un tel prix et surtout était-il utile pour éclairer le terrible conflit que fut la Grande Guerre ? Éclairer un tel conflit ne revient-il pas à poser deux questions essentielles : pourquoi la guerre et comment la guerre ?
Cette seconde interrogation revient à suivre les interactions entre tous les protagonistes alors que la première amène à la recherche des responsables. C’est dans ce sens que Gordon Zola oriente le présent roman, un roman qu’il définit comme comico-tragique.
Le récit débute par un assassinat dans une tranchée, en Champagne en septembre 1917. L’action se déporte en juin 1903, à Belgrade en Serbie. Augustin Bonplaisir est le clown vedette du cirque Castiglione. Il s’est surpassé ce soir-là. Après le spectacle, Olga Tosek, jeune blanchisseuse éblouie par sa prestation, l’entraîne, sans rencontrer de résistance, dans sa chambrette au palais royal. Alors qu’ils dorment après des moments d’une grande intensité, ils sont réveillés par un coup de feu et un vacarme. Augustin assiste à l’exécution du couple royal, Alexandar I et son épouse Draga, une première phase qui amènera au drame de 1914. Bonplaisir est là lors de la seconde phase, le 28 juin 1914, avec l’assassinant de François-Ferdinand et de son épouse Sophie, à Sarajevo.
Dans ce petit baraquement inconfortable, en Champagne, cinq hommes, sans compter le cadavre, tentent de comprendre les raisons de l’égorgement du sixième. Isolés par une pluie torrentielle, ils sont seuls depuis deux jours. Donc l’assassin est parmi eux ! Qui a tué cet homme détestable et pourquoi ?
En plaçant une partie de l’intrigue dans les tranchées, l’auteur décrit la vie dans ce bourbier tout en laissant son héros expliciter les racines du conflit, les responsabilités et les desseins qui ont amené à cette guerre. Le huis clos, à la façon du célébrissime Dix petits nègres, permet de couvrir, avec les différents protagonistes, d’autres événements qui se rattachent aux causes de la conflagration.
L’auteur démontre avec rigueur les fondements qui ont fait que cette tuerie était inévitable avec le jeu des alliances, le besoin de territoires, d’accès à des passages maritimes pour la Russie, la haine de certains dirigeants hexagonaux pour l’Allemagne, les dessous des Emprunts russes et les conséquences induites, le panslavisme… Avec une chronologie des événements, les dates réelles de mobilisation, le voyage, dans les derniers jours de juillet de Poincaré chez le Tsar, l’assassinat de Jaurès, Gordon Zola dresse un tableau sans faille des enchaînements.
Il décrit une Troisième République où la corruption allait bon train, avec le trafic des décorations, la valse des portefeuilles…
Mais ce roman est aussi une source inépuisable de bons mots, de jeux de mots, de situations truculentes, de calembours et de facéties. L’auteur se livre à son humour habituel, posant cependant, nombre de questions, soulevant nombre de points d’une réelle importance, apportant des points de vue pertinents. Il offre quelques pages superbes quand il détaille les prolongements d’une interrogation de son héros : “Allait-il favoriser les plaisirs de l’alcool ou ceux du sexe ? “
Ainsi, pour cet homme assassiné, peut-on dire qu’il est mort à la guerre car il a été égorgé à cinquante mètres de la boucherie officielle ? Comment en était-on arrivé à pouvoir idolâtrer un clown, de fausses icones, se demande Augustin quand il est acclamé ? Gaston Leroux, ce remarquable romancier, est cité plusieurs fois dans le récit.
Après Fais gaffe à ta Gaule, Un manchot pour l’Empereur, J’écluse !, Cartonne 14 s’inscrit dans une suite de romans historiques détaillant un événement marquant, avec pour héros un Bonplaisir. Ces romans historico-déconnants révèlent, sous un humour qui couvre toute la gamme des railleries, une véritable recherche documentaire, une analyse fine et une vision acérée des situations. Un régal de lecture !
serge perraud
Gordon Zola, Cartonne 14 – Tranchées dans le vif, Les Éditions du Léopard Masqué, coll. Romans “historico-déconnants”, octobre 2017, 208 p. – 18,00 €.