La prise de la Bastille occupant une place centrale dans la mythologie révolutionnaire, on en vient à oublier que pendant toute l’année 1789 l’histoire révolutionnaire à ses débuts s’est écrite à Versailles, dans ce cadre splendide de la monarchie imaginé et créé par Louis XIV. Comme pour mieux souligner que la Révolution et le Trône pouvaient encore marcher de concert, et ce jusqu’à ce que l’invasion du palais le 6 octobre et le retour forcé de la famille royale à Paris – véritable profanation de la monarchie – ne vinssent souligner avec force que la cohabitation était impossible. La Tabula rasa fonctionnait déjà.
C’est cette histoire que raconte le livre d’Alexandre Maral, aussi dense que passionnant. Un récit minutieux, riche, nourri de sources variées, des événements depuis les cérémonies de vœux de la nouvelle année jusqu’à l’abandon du château par Louis XVI. Un récit qui nous plonge dans les arcanes d’un pouvoir encore absolu, dans le fonctionnement réglé d’une Cour à laquelle on reproche beaucoup mais qui joua un incontestable rôle de blocage et enfin dans les combats politiques qui, dès le débuts, marquèrent les Etats-Généraux jusqu’au coup de force du mois de juin.
Aucun aspect n’est oublié dans cette accélération des évènements, pas même les sentiments du couple royal anéanti par la mort du Dauphin et plongé dans une solitude qui ne cessera de grandir. Pourtant, L’auteur explique très bien qu’au mois d’août on pouvait encore croire à la marche commune de la monarchie et de la révolution. Le système curial reprenait son fonctionnement normal, tentant même d’intégrer les nouvelles élites. La crise d’octobre, succédant aux vifs débats constitutionnels de septembre, vint alors tout briser.
La question de la résidence royale de Versailles se posa très rapidement, dès les cahiers de doléances en fait. Pas de changement véritable sans un départ du château louisquatorzien. Des pressions s’exercèrent dans ce sens sur Louis XVI à la fin du mois de septembre, on parlait même de départ forcé. Puis ce fut la marche sur Versailles des femmes. Les pages qui y sont consacrées sont incontestablement les plus passionnantes. Grâce à un récit captivant, l’auteur nous montre l’incroyable violence de ces femmes certes affamées mais parmi lesquelles des activistes bien masculins se cachaient, sans parler des poissardes et autres ivrognes.
Violence contre les gardes poursuivis dans le château, victimes de leur fidélité au roi et pour certains décapités . Violence contre la reine qui aurait pu être elle aussi massacrée par cette horde nourrie de pamphlets orduriers et haineux : l’invasion ne fut pas loin de dégénérer en massacre général des occupants du palais. Violence symbolique de la profanation de l’écrin de la monarchie, laquelle en vérité ne s’en remit jamais.
L’emprisonnement de Louis XVI commença le 6 octobre 1789. Il aurait certes pu faire preuve de violence lui aussi, préserver son palais y compris par les armes, ou tout au moins le quitter quand il en était encore temps (le 5 octobre), prendre du champ pour mieux agir. Il ne put et ne voulut pas le faire. Grandeur d’un homme, faiblesse d’un roi.
frederic le moal
Alexandre Maral, Les derniers jours de Versailles, Perrin, décembre 2017, 607 p. — 29,00 €.