Sandrine Collette, Juste après la vague

Un nou­veau joyau littéraire 

Cela fait six jours que le flan nord du vol­can a glissé dans la mer. La vague a déferlé sur le monde, empor­tant tout. Ils sont onze, le père, la mère et les neuf enfants, entre un et quinze ans, sur cette col­line qui domi­nait le vil­lage. Au début, le père affir­mait que l’eau allait redes­cendre. Mais c’est l’inverse qui se pro­duit ! Insen­si­ble­ment celle-ci conti­nue de mon­ter. Il n’y a pas de secours, seule­ment des cadavres au ventre gon­flé et d’énormes débris qui flottent. Sur leur som­met, il n’y a plus grand-chose à man­ger, à boire. A perte de vue, ils ne dis­tinguent qu’une éten­due d’eau secouée de tem­pêtes vio­lentes.
Les deux aînés ont failli périr en ten­tant d’aller à la recherche de nour­ri­ture sur une grosse bouée. Cepen­dant, une barque endom­ma­gée s’est échouée sur leur îlot. Ils la réparent. Seule­ment l’embarcation n’offre que huit places. Com­ment choi­sir ceux qui vont par­tir, ceux qu’il faut aban­don­ner ? Les aînés pour­ront ramer, les plus petits ont besoin de leur mère. Il reste les trois du milieu, Louie, Per­rine et Noé, le boi­teux, la borgne et le nain…

Faut-il sacri­fier une mino­rité pour sau­ver une majo­rité ? C’est sur ce dilemme dra­ma­tique que San­drine Col­lette signe un récit dan­tesque met­tant en scène des situa­tions dignes du grand Cor­neille. Elle mul­ti­plie, dans un mael­strom de sen­ti­ments et d’émotions, des cas de conscience aigus. Outre la mise en place du contexte, du cadre, la roman­cière scinde son his­toire en trois grandes par­ties. C’est la décou­verte de l’abandon, tem­po­risé par une pro­messe écrite de retour et le récit de l’existence de ces enfants confron­tés à des situa­tions, des tâches qu’ils n’ont jamais vécues.
Puis, c’est la nar­ra­tion du périple de ceux qui ont embar­qués sur une mer où les élé­ments ont ten­dance à se déchaî­ner, où les dan­gers, comme les dis­pa­ri­tions, se mul­ti­plient. L’action se pour­suit sur l’île avec de nou­veaux dan­gers, des menaces qui minent leur déter­mi­na­tion à vivre jusqu’à…

L’auteure offre un récit d’une grande force, décrit avec un talent excep­tion­nel les états d’âme des uns et des autres, les conflits moraux qu’engendrent ces situa­tions de crise quand la peur et l’angoisse sont omni­pré­sentes. Elle raconte les déci­sions dif­fi­ciles à prendre, les dou­lou­reux sacri­fices, les choix qui, quelles que soient les options prises, ne sont pas satis­fai­sants, ne sont que des pis-aller. Elle retient un décor tout à fait cré­dible et donne force péri­pé­ties et rebon­dis­se­ments, décri­vant le déchaî­ne­ment de la nature, la fatigue, l’épuisement, les errances, l’usure des corps qui tentent d’aller plus loin, coûte que coûte.
Comme à son habi­tude, elle construit des per­son­nages si authen­tiques, si réa­listes que l’on prend fait et cause pour ceux qui géné­rèrent de l’empathie et de la répul­sion pour les autres. Elle expose de manière remar­quable les sen­ti­ments, les émo­tions de ses pro­ta­go­nistes, exprime tous les désar­rois liés à la sépa­ra­tion, à l’abandon. Elle montre la pug­na­cité de l’être humain, sa volonté de vivre, sa capa­cité à espérer.

Cette his­toire est éga­le­ment un récit d’aventures avec lequel elle inter­roge et pousse son lec­teur à se poser un cer­tain nombre de ques­tions, dont cer­taines par­ti­cu­liè­re­ment déran­geantes. Après la mon­tagne, les plaines arides, les monstres du vignoble ou d’une casse auto­mo­bile, San­drine Col­lette aborde le déluge, l’eau, cet élé­ment natu­rel déme­suré et dont les colères sont ter­ribles.
Com­ment fait-elle, alors qu’elle a atteint les som­mets, pour pro­gres­ser encore et tou­jours ? A-t-elle le secret de la lévi­ta­tion en matière d’art lit­té­raire ? Avec ce nou­veau roman, San­drine Col­lette fait la preuve que son talent n’a pas de limites, qu’il est au ser­vice d’histoires intenses, riches en per­son­nages si humains qu’elle confronte à des situa­tions extrêmes.

serge per­raud

San­drine Col­lette, Juste après la vague, Denoël, coll. “Sueurs froides”, jan­vier 2018, 304 p. – 19,90 €.

Leave a Comment

Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>