De nombreux fidèles, en procession, promènent le bras supplicié de Saint-Anthelme et se rendent jusqu’à la recluse, dans le Cimetière des Innocents. Là, ils attendent un signe de cette sainte enfermée depuis deux ans. Un cri de détresse fait comprendre qu’elle est toujours vivante et qu’elle veille sur la paroisse. Le groupe est alors apostrophé par une jeune fille, habillée en homme, qui les traite de charognards, critique leurs pratiques. Alors qu’elle s’éloigne pour ne pas être prise à partie, elle est rejointe par un jeune homme qui lui aussi condamne ces croyances papistes. Elle lui rétorque qu’elle refuse aussi les Réformés et leur morale étouffante.
Oriane est la fille d’un apothicaire à la recherche de la transmutation et Jonas vient de Rouen. Il recherche le corps de son père, tué lors de la Saint-Barthélemy, pour retrouver l’anneau qu’il portait au doigt et le ramener à sa mère. Or, dans ce Paris aux mains de la Sainte Ligue catholique, tous ceux qui ne partagent pas leurs croyances sont impitoyablement pourchassés.
L’action se déroule dans une France ravagée par les guerres de religion, dans un contexte de passions exacerbées. Philippe Charlot retient cette période où Henri IV, désigné officiellement comme son successeur par Henri III la veille de sa mort (par assassinat le 1er août 1589) peine à conquérir Paris. La ville est tenue par la Seconde ligue catholique, celle qui a fait assassiner Henri III par le dominicain Jacques Clément.
Il met en scène une de ces pratiques papistes qui consistait à murer une femme. Celle-ci, en principe, devait prier pour les ouailles de la paroisse. Il évoque l’usage des reliques, entre morceaux de corps des saints, bois de la vraie croix, lait de la vierge et autres inepties dont le seul but était de récolter les oboles des croyants. De plus, il retient comme décor le Cimetière des Innocents, le plus ancien de Paris, situé au cœur de la ville, un pourrissoir à ciel ouvert. Dans ce cadre, il anime deux jeunes adultes. Une adolescente élevée dans un milieu plus “scientifique” où la connaissance des vertus de certaines plantes permettait de s’abstraire de nombre de croyances, où son père se livre à la recherche de la transformation du plomb, et autres métaux vils, en or, activité très en vogue à cette époque. Esprit plus éclairé, Oriane tient, pour son malheur, des propos qui choquent les intégristes. Elle apporte son aide, par sa connaissance du quartier, à un jeune protestant qui, pour faire plaisir à sa mère, se retrouve dans un univers bien différent de celui où il a vécu avec tous les effets que cela peut engendrer.
Avec ce cadre, ce décor, ces acteurs, Philippe Charlot construit un récit enlevé, attractif, mêlant avec adresse tension et humour. Sur une base historique solide, il propose une intrigue qui retient l’attention et donne une furieuse envie de poursuivre sa lecture.
Le dessin de Xavier Fourquemin, si caractéristique, donne vie de belle manière aux péripéties du scénario. S’il semble, a priori, assez minimaliste, son graphisme est très efficace pour raconter l’histoire, faire ressentir les émotions et sentiments des protagonistes et planter un décor du plus bel effet. Il signe quelques « gueules » particulièrement réussies.
Ce premier tome lance une belle histoire, riche en apports historico-religieux, servie par une galerie de personnages tous singuliers dans leur rôle. À lire, sans retenue !
serge perraud
Philippe Charlot (scénario), Xavier Fourquemin (dessin) & Hamo (couleurs), Le Cimetière des Innocents – t.01 : Oriane et l’Ordre des morts, Bamboo, coll. Grand Angle, janvier 2018, 56 p. – 14,90 €.