Avec Traquemage, les auteurs invitent leurs lecteurs à découvrir un genre littéraire nouveau, La rural fantasy fromagère non pasteurisée. Wilfrid Lupano place son intrigue autour d’un berger et du fromage qu’il fabrique, un fameux fromage. Et, effectivement, il propose un genre unique jusqu’alors, débordant d’humour, en tenant tous les ingrédients flirtant avec la magie et la quête héroïque d’un héros.
Pistolin produit le Pécadou, un fromage de cornebiques. Aussi, quand l’armée de Kobéron extermine son troupeau, il jure de traquer et de tuer ces mages qui se font la guerre sans se soucier des dégâts collatéraux. La fée Pompette, qui doit ce surnom à la quantité d’alcool qu’elle ingère, lui donne le moyen de se débarrasser de ces magiciens. Accompagné de Myrtille, la seule cornebique survivante, il s’attaque à Kobéron parce que c’est celui qui lui fait le moins peur. Le château de ce dernier domine la station radieuse de Saint-Azur-en-Lagune. Pistolin se répète la succession des actions pour mener à bien sa mission. Il faut trouver les sirènes, leur faire accepter d’aller chercher l’épée du Traquemage au fond de l’eau, puis se hisser jusqu’au palais du mage sans se faire déchiqueter par les aigles géants, lui fourrer un Gluon dans une narine pour neutraliser sa magie et…
Il en est là de ses réflexions quand il entend les cris de trois hommes qui en poursuivent un quatrième. Ils l’accusent d’être un enchianteur qui leur pourrit la vie. Comme Pistolin ne ressent aucun effet d’enchiantement, ils jugent qu’il est aussi un sorcier. Attachés l’un à l’autre, le berger et le magicien sont jetés dans un gouffre. C’est alors que l’un des trois remarque : “N’empêche, quand tu y pense, se faire jeter dans le gouffre du Diable alors que cinq minutes plus tôt tu te promenais tranquillement dans la forêt, c’est tout de même un peu chiant.”
L e scénariste met en scène un couple de personnages peu commun. Un berger naïf mais qui se révèle redoutable par son ingénuité qui le place en position de désarçonner ses adversaires et un croisement entre une chèvre et un mouton qui a échappé à la mort grâce à sa pleutrerie. Autour de ce duo atypique, le scénariste peuple son intrigue d’une population singulière, pourvue en protagonistes étonnants. Wilfrid Lupano multiplie les situations drolatiques à souhait, des dialogues pétillants, étincelants, un humour de situations avec des bons mots, des jeux de mots, un vocabulaire à double, voire triple effet…
Mais, sous l’humour et l’aspect bon enfant, déconnant, il dénonce des situations bien réelles, révoltantes. La décrépitude de la station, son enlisement, la disparition des sirènes par une surpêche, les marges des intermédiaires aux dépens de producteurs, les puissants qui ne pensent qu’à leurs caprices, leur bien-être, sans se soucier du reste de l’humanité recouvrent autant de sujets préoccupants tant écologistes que sociétaux. Il évoque également la malbouffe, l’adaptation physique aux nouveaux maux…
Il en résulte un album à parcourir plusieurs fois tant la matière est riche en niveaux de lecture. Le dessin de Relom, entre réalisme et caricature, fait merveille pour mettre en images les inventions du scénariste. Il réussit aussi bien à rendre les émotions de ses protagonistes qu’à créer des décors fantastiques. Une série à suivre pour vivre un grand moment de plaisir !
serge perraud
Wilfrid Lupano (scénario), Relom (dessin), Degreff (couleur), Traquemage — t.2 : “Le Chant vaseux de la sirène”, Delcourt, coll. “Terres de légendes”, octobre 2017, 56 p. – 14,95 €.