Quand trois talentueux créateurs…
En l’an 3001, sur la planète Zarkass, New Pondichery est la première colonie terrienne implantée hors du système solaire. Elle sert de tête de pont à la stratégie spatiale de Gaïa, le nouveau nom de la Terre. Celle-ci a bien changé. Les femmes, lassées de siècles de domination masculine, ont pris le pouvoir, n’en pouvant plus des guerres, des viols, des vols, du terrorisme et autres crimes. La population masculine, vexée, s’est repliée sur elle-même et se livre aux jeux vidéo, au football, à l’alcoolisme, à l’homosexualité… Les dames défendent l’environnement. Elles ont décidé de se libérer du joug de la mode féminine. Les prénoms sont asexués et leur choix est libre. Mais, paradoxalement, depuis quelques générations, les prénoms masculins prédominent. Sur Zarkass, de mystérieux vaisseaux en forme de triangle perturbent l’harmonie qui règne entre les populations locale et humaine. Qui pilote ces engins ? Quels buts poursuivent-ils ?
Deux agentes sont dépêchées pour enquêter, Louis et Marcel. Elles sont aussi dissemblables que possible. Louis est une scientifique délicate et raffinée. Marcel, la guide, est rugueuse et abrupte. Elles partent sous le couvert d’études de la faune, de la flore et des coutumes des autochtones. En fait, elles doivent pénétrer dans une zone interdite, là où un triangle s’est écrasé. Mais quelles sont les véritables missions de chacune ? Et, dans une jungle inconnue, tout est danger…
S’il respecte la trame principale, Yann adapte de façon assez libre le roman de Stefan Wul paru au 3e trimestre de 1958 dans la collection Anticipation de Fleuve Noir. Il propose une autre société, un matriarcat qui se répand dans l’univers. Mais il garde les principes et les vieux concepts liés au colonialisme en les brocardant encore plus joyeusement que ne l’avait fait le romancier. Les thèmes, des situations mis en œuvre par Stefan Wul se retrouvent modernisés, actualisés par un Yann au somment de son art du détournement et de la parodie.
Le scénariste propose un parcours périlleux à deux héroïnes bien différentes, aux caractères opposés. Si l’une se rapproche de ces héroïnes de roman d’aventures, frêle, peu aguerrie, ayant besoin de protection, de vivre dans un minimum de confort, l’autre est taillée pour le risque. De constitution plus robuste, elle semble surtout habituée à des conditions d’existence plus rustiques. Les rapports entre les deux, leur évolution est parfaitement maîtrisée et menée à un terme singulier. Yann introduit nombre de trouvailles humoristiques, imagine un langage extraterrestre qui semble bien hermétique au premier abord.
Didier Cassegrain est un des dessinateurs qui comptent dans le paysage de la bande dessinée avec son style si particulier, sa capacité à animer tout ce qui bouge, à donner une expressivité concrète à ses personnages. Il reconnaît avoir des domaines de prédilection comme tout ce qui concerne l’organique, se sentant peu enclin à l’illustration d’une SF-Techno. Par contre, il est à l’aise, et il le prouve, avec tout ce qui est forêts luxuriantes, bestioles étranges, autochtones aux coutumes primitives. Il réalise des décors superbes, une faune et une flore d’exception, des pleines pages remarquables. Cette édition est complétée par un cahier bonus fort bien venu.
Piège sur Zarkass, grâce aux talents conjugués d’un mythique romancier de SF, d’un scénariste hors-pair et d’un dessinateur d’exception, est un album indispensable dans toutes les bédéthèques dignes de ce nom.
serge perraud
Yann (scénario d’après un roman de Stefan Wul) & Didier Cassegrain (dessin et couleur), Piège sur Zarkass - L’Intégrale, Ankama, coll. “Les univers de Stefan Wul”, octobre 2017, 152 p. – 19,90 €.