Les croisades ! Certains en reviennent, pas automatiquement les meilleurs, mais pas les pires non plus ! C’est le cas du noble chevalier Bohémond Brayard, accompagné de Rignomer, un moinillon envoyé en Terre Sainte pour ramener les reliques de sainte Bertrude. Celui-ci en a ras la tonsure car cela fait 783 lieues que le chevalier braille des couplets lestes qui débutent par : “En revenant de Jérusalem, lem ! Lem ! “
Ils sont attaqués par une jeune fille qui se présente comme Hadiyatallah, une princesse arabe. Elle a besoin d’un cheval pour retourner chez elle, à Alep. Vite vaincue, elle est attachée à la lance de Brayard. Une troupe, à la poursuite de la fugitive, leur barre le chemin. Le combat s’engage mais Brayard reconnaît le baron d’Oléron, un ami, dans le groupe. Ils se donnent l’accolade et les explications sur la situation. Il a une lettre, en arabe, du père de la jeune fille (c’est elle qui a traduit !) Celui-ci accepte de payer la fabuleuse rançon à condition que sa fille reste pure.
Brayard invite son ami chez lui et Rignomer rentre dans son couvent tout fier de ses reliques. Après avoir conté ses exploits, un moine remarque que le bassin de la sainte est celui…d’un homme ! Rignomer est envoyé seconder le copiste, ce qui équivaut, pour lui, à l’enfer. Aussi quand l’occasion de repartir se présente, il n’hésite pas. Avec Hadiyatallah, ils traduisent dans le sens qui les arrange une nouvelle missive qui, soi-disant, réclame le retour de la jeune fille à Alep où sera payée la rançon. Brayard, ne supportant pas la vie familiale entre une épouse acariâtre, des enfants comme des légumes, trop heureux, se porte volontaire pour ramener la “princesse” chez elle.
Mais, si l’aller n’était pas sans dangers, le retour l’est encore plus…
Les différentes croisades, au cœur de la période où culmina l’esprit chevaleresque, sont une source d’inspiration tant par les faits d’armes que par la rencontre de deux civilisations. Mais peu d’auteurs se sont inspirés du sujet avec un ton aussi humoristique que le fait Zidrou. Les dialogues valent leur pesant de sourires et de rires avec ce qu’il faut de profondeur pour marquer le trait, à la fois cocasse et cynique. Ainsi, quand Brayard s’excuse auprès de son ami de lui avoir trucidé des soldats, celui-ci minimise en disant : “Laisse tomber ! J’en ai plein d’autres au château.” Les jurons sont superbes et toujours en lien avec la situation des personnages. Quand les héros se retrouvent seuls en pleine mer sur un voilier que personne ne sait piloter, le moinillon s’exclame par : “par… Saint Titanic !“
Zidrou compose un trio de personnages à la fois hauts en couleur chacun dans leur genre, attachants, aux caractères psychologiques fort bien conçus et construits, mêlant humanisme et tendresse. Mais, sous l’humour, il dévoile quelques réalités moins romanesques, assène quelques vérités sur la réalité comme les pillages, les massacres, les viols, les saccages perpétrés au nom d’un dieu dit de miséricorde. C’est Georges Minois qui, dans sa biographie sur Richard Cœur de Lion (Perrin – 2017) un fameux acteur de l’épopée, définit les croisades comme la version chrétienne du Djihad citant les encouragements d’un pape de l’époque à tuer du païen.
Le scénariste brocarde joyeusement toutes les croyances religieuses comme les miracles attribués aux saints, la valeur du jugement de dieu… Ne cherchez pas de correspondance avec un autre chevalier porteur d’un patronyme assez voisin, il semble qu’il y ait peu de points communs.
Francis Porcel assure le graphisme. Celui-ci donne vie de belle manière à ce trio si sympathique avec un dessin dynamique, aux poses toniques et aux regards si expressifs. Si la mise en images et le découpage des pages restent classiques, les scènes de combats sont énergiques, menées avec un soin précis du détail et de la gestuelle.
Avec Chevalier Brayard, les auteurs offrent un one shot de très belle facture qui enchante par sa réécriture des croisades et de leurs conséquences.
serge perraud
Zidrou (scénario) & Francis Porcel (dessin), Chevalier Brayard, Dargaud, Septembre 2017, 80 p. – 14,99 €.