Un paladin de légende, une brute sanguinaire ?
Richard Cœur de Lion est entré dans la Grande Histoire comme un roi-chevalier s’étant illustré dans sa lutte contre Saladin lors de la Troisième Croisade. Sa légende a été entretenue par les aventures de Robin des Bois contées tant par Walter Scott qu’Alexandre Dumas.
Richard arrive au monde le 8 septembre 1157 à Oxford d’une mère poitevine et d’un père angevin. Ils ne parlent l’anglais ni l’un ni l’autre et sont de passage dans la région. Aliénor, sa mère, a trente-cinq ans et son père, Henri II, vingt-trois. Les parents de Richard règnent sur d’immenses territoires allant de l’Écosse aux Pyrénées, un patchwork de peuples très divers en constants conflits. Il est le fils préféré d’Aliénor et vit avec elle ses premières années jusqu’à l’adolescence entouré d’une cour à Poitiers où les troubadours, la poésie et l’amour courtois sont de mise. Il a 16 ans quand intervient la rupture entre ses parents, son père faisant enfermer sa mère. Il prend alors, avec ses frères, les armes contre Henri II. Il s’allie à Philippe Auguste, se réfugie à Paris. Il est grandement responsable de la mort de son père, poussant celui-ci, malade, à une capitulation sans condition.
Le 3 septembre 1189, à trente-deux ans, il est couronné roi. Son premier acte est de faire libérer sa mère recluse depuis 1174. Les rapports entre eux sont fusionnels. Richard part très vite en Terre Sainte où il acquiert le surnom de Cœur de Lion pour son excessive témérité au combat. Il lutte d’égal à égal avec Saladin qu’il met en difficulté malgré des forces inférieures. C’est au retour de croisade qu’il est capturé près de Vienne, en Autriche, car personne n’a envie qu’il rentre, ni son frère Jean, ni Philippe Auguste qui multiple les accusations calomnieuses contre lui, ni Henri VI du Saint Empire germanique, ni l’évêque de Beauvais…
Pendant son court règne, il n’aura de cesse de lutter contre les agressions extérieures de ses rivaux, contre les révoltes et séditions internes. Sa vie se termine à Chalus, près de Limoges, le 6 avril 1199. Il a reçu un carreau d’arbalète dans l’épaule quelques jours auparavant. Pour l’extraire le chirurgien déchiquette les chairs, cause une plaie profonde. La gangrène s’installe et l’emporte en quelques jours.
Georges Minois brosse un magnifique portrait d’une précision et d’une exactitude confondantes. Il s’appuie sur les descriptions des chroniqueurs de l’époque mais analyse aussi les actions, les faits et en tire des conclusions pertinentes qui complètent et affinent le caractère et la geste de ce roi. Pour mieux situer ses actes, il détaille le contexte européen, ceux qui comptent dans le paysage, les interactions entre les tenants des grands royaumes, des empires tant terrestres que spirituels. Il montre la complexité des liens entre ces puissants par le fonctionnement féodal, les implications qui naissent des rapports entre suzerain et vassal, le même individu pouvant être l’un et l’autre. Le cadre est brillamment restitué avec toutes les forces en présence, le passé qui a amené à de telles situations, les ambitions, les batailles, les traités et les traîtrises.
L’auteur analyse avec un regard aigu les pratiques de l’époque comparant, par exemple, les croisades à une version chrétienne du Djihad car le pape Urbain II ne proclamait-t-il pas : “À tous ceux qui perdrons la vie en combattant les païens, la rémission des péchés sera accordée.” ? Et le paradis avec, mais il ne promettait pas des dizaines de vierges ! L’auteur dépeint sa vie de guerrier, les pulsions de cet homme qui pouvait être une brute sanguinaire et un paladin de légende.
Georges Minois s’attache à expliciter les relations entre Richard et sa mère, entre lui et son père dans un cadre œdipien. Richard est, et restera toute sa vie, le fils préféré de cette figure magnifique qu’est Aliénor, une femme qui marqua son temps et qui se dévoua à son fils. Ainsi : “…en 1190, celle-ci âgée de presque soixante-dix ans, fait le voyage de Navarre pour ramener une épouse à son fils ; traversant les Alpes, elle le rejoint en Sicile, d’où il s’apprête à partir en croisade ; en 1194, elle remue ciel et terre pour rassembler la rançon de Richard, qu’elle vient, elle-même, délivrer à Mayence, tout en déjouant les manœuvres de Jean contre son fils préféré.” Elle accourt à Chalus quand il est mortellement blessé et il trépasse dans ses bras.
L’historien mène si bien son récit que ce livre se lit d’une traite, comme un thriller, tant la vie de cet homme fut trépidante dans un cadre approprié à une longue intrigue riche en tensions.
serge perraud
Georges Minois, Richard Cœur de Lion, Perrin, février 2017, 416 p. – 24,00 €.