La face noire du New York des années 1930
Avant son entrée sur les ondes, un reporter raconte des accidents survenus sur le chantier de leur futur studio. Puis il inonde ses auditeurs de nouvelles. C’est sur ce fond sonore qu’un ouvrier se prépare et arrive sur son lieu de travail. Dan Shackleton vient de se faire embaucher comme riveteur sur la construction du Rockefeller Center. Il est intégré dans la brigade de Giant où un équipier est mort. Giant est un colosse taiseux qui reste sourd aux tentatives de conversations du nouveau.
À la fin de la journée, émaillée des quelques incidents relatifs à l’apprentissage du travail par Dan, des ouvriers apportent les effets personnels de Ryan Murphy demandant à Giant de prévenir la famille en Irlande. Il refuse mais les autres insistent. Chacun doit faire sa part, ils ont assuré les funérailles.
En rangeant les affaires du défunt, Giant trouve les lettres d’une épouse inquiète, sans nouvelles depuis plusieurs mois et sans ressources. Giant envoie une somme d’argent avec un petit mot qu’il exécute sur la machine à écrire de son voisin, laissant un billet sur le tambour. Dan apprend que Murphy buvait sa paie toutes les nuits dans les pires gargotes, une attitude inadéquate quand il faut passer ses journées en équilibre sur des poutres. Et une correspondance s’établit entre Mary Ann Murphy et Giant, qui se fait passer pour son mari. Il joint régulièrement de l’argent. Mais jusqu’à quand pourra-t-il faire illusion ?
La célèbre photo présentant des ouvriers assis sur une poutre d’acier suspendue à une hauteur vertigineuse est le point de départ choisi par Mikaël pour ce diptyque dont il assure le scénario, le dessin et la couleur. Sur cette photo, seules deux personnes ont été identifiées, les autres restent à jamais des inconnues. Qui étaient-elles et quelle pouvait être leur vie ? C’est pour s’efforcer de répondre à ces questions que Mikaël s’est mis à l’écriture d’un scénario.
L’Histoire évoque toujours, pour la construction de ces gratte-ciels, l’emploi de Mohawks seuls capables d’évoluer à ces hauteurs vertigineuses. Mais, à bien regarder, les onze gaillards assis n’ont pas le type indien. Ils ressemblent plutôt à des Européens ou des descendants d’Européens. Alors, pourquoi pas des Irlandais, des migrants de ce pays où la situation économique n’est pas florissante dans les années 1930 ?
Le scénariste décrit, sur les pas de Giant et de Dan, les conditions de travail, les conditions d’existence de ces travailleurs, les abris précaires, les tentations de ces hommes qui se privent, vivent chichement pour envoyer le maximum d’argent à leur famille, souvent une famille nombreuse restée au pays. Il introduit dans le récit, les tentatives de rapprochement d’un individu muré dans un silence que rien ne rompt. Quel est son passé. Pourquoi et pour quelles raisons est-il si seul ?
C’est aussi la description de l’essor de ces constructions qui vont faire New York. Si la crise, consécutive au Jeudi Noir, affecte une large part de la population, elle ne touche pas spécialement les grands financiers qui peuvent même investir à bas prix. Car, si ceux-ci sont les premiers à pleurer, ils sont les derniers à être affectés… quand ils le sont !
Le scénariste met en place, avec brio, son intrigue et les actions qui l’entourent. Il subsiste bien des questions dont on espère la réponse dans le prochain tome. Son dessin réaliste, dynamique, rend bien le travail sur les chantiers et les décors offrent une belle image du New York de ces années-là. Le choix d’une couleur sépia donne, à la lecture de cet album, le sentiment d’entrer dans un témoignage datant de cette époque.
Giant ½ est un premier tome réussi tant pour la qualité de l’intrigue que pour les dialogues pétillants et la mise en images.
serge perraud
Mikaël, Giant (scénario, dessin et couleur), t.1/2, Dargaud, juin 2017, 64 p. – 13,99 €.