Alexandre Dumas, Le Capitaine Paul

Un des pre­miers romans du for­mi­dable romancier

Tout roman ne peut pas faire un drame, mais tout drame peut faire un roman.” Cette bou­tade d’Alexandre Dumas, écrite en 1856, syn­thé­tise une large part de sa pen­sée et les res­sorts qui ont struc­turé son œuvre tant théâ­trale que roma­nesque.
C’est la lec­ture du Pilote, un récit de Feni­more Cooper, qui est le point de départ du pré­sent roman. Celui-ci est un pion­nier en matière de récits d’aventures et son célèbre cycle Bas-de-Cuir ren­contre le suc­cès et influence nombre de jeunes auteurs tels qu’Eugène Sue, Bal­zac et… Alexandre Dumas. Cooper s’appuie sur Paul Jones, un per­son­nage authen­tique, un Écos­sais qui prit aux États-Unis le nom de John Paul Johns et mena une vie aven­tu­reuse tant sur mers que sur terre.

Dumas déve­loppe d’abord l’histoire dans une pièce jouée en 1835. Le roman n’est écrit qu’en 1838, en un mois, l’auteur se ser­vant d’éléments de sa pièce. Jusqu’alors, il s’était consa­cré au théâtre et avait débuté la paru­tion de sou­ve­nirs des voyages qu’il com­mence à accom­plir. Le Capi­taine Paul est un de ses pre­miers romans. On y trouve les thèmes qui feront sa for­tune lit­té­raire et finan­cière tels que le héros d’exception, la bâtar­dise, les duels, les secrets de familles…
En octobre 1777 une fré­gate s’arrête à Lorient. Son capi­taine fait la ren­contre du comte Emma­nuel d’Auray. Celui-ci veut lui confier, sur ordre du roi, un pri­son­nier à conduire à Cayenne. Le capi­taine Paul accepte. Alors que le bateau fait voile vers sa des­ti­na­tion, il est atta­qué par un navire anglais. C’est l’abordage, pen­dant lequel le pri­son­nier prend une part active à la défense. Vic­to­rieux, le capi­taine écoute l’histoire de Lusi­gnan, son pri­son­nier, et noue avec lui une ami­tié qui l’amènera à prendre sa défense.

Paul a en sa pos­ses­sion une lettre de son père, qu’il a peu connu. Il l’enjoint de se rendre, le soir de ses 25 ans, auprès du vieil Achard, lequel vit sur les terres d’Auray, pour apprendre la vérité sur sa nais­sance. Six mois plus tard, ils sont de retour en Bre­tagne et la défense de son ami l’amène en ces mêmes lieux. Lusi­gnan a été fait pri­son­nier pour avoir osé aimer la sœur d’Emmanuel, Mar­gue­rite, dont il a eu un enfant. Le frère et la mère de Mar­gue­rite, la mar­quise d’Auray, ont retiré l’enfant à sa mère et veulent obli­ger cette der­nière à épou­ser un per­son­nage influent à la cour…
Jeune mariée, la mar­quise avait eu une aven­ture avec le comte de Mor­laix. Un enfant était né, élevé secrè­te­ment par son père et par Achard, un ser­vi­teur. Quelques années plus tard, le mar­quis appre­nant la liai­son pro­voque l’amant en duel. Celui-ci se laisse tuer. Le mar­quis devient fou. Son épouse, de peur que son infi­dé­lité ne soit révé­lée au grand jour, a entre­tenu et encou­ragé cette folie du comte, en le gar­dant enfermé. L’enfant a été envoyé en Angle­terre, où l’on a perdu sa trace. C’est ce qu’Achard apprend à Paul. Il lui révèle qu’il est l’enfant en question…

Le texte est pré­senté avec le clas­sique inci­pit pseudo-réaliste, lais­sant sup­po­ser que l’auteur aurait suivi les traces de Paul Jones en France, fait des recherches appro­fon­dies et recueilli des témoi­gnages dont celui du vieux ser­vi­teur de la famille d’Auray. On peut légi­ti­me­ment mettre en doute cette approche car, à l’époque, les roman­ciers étaient encore très réti­cents à admettre le carac­tère fic­tion­nel de leurs œuvres, crai­gnant qu’elles ne soient taxées de futi­lité, inuti­lité, voire de men­songes.
Cepen­dant, au cours d’une visite en Bre­tagne, Dumas est allé du côté de Lorient, où Paul Jones aurait séjourné, afin d’enrichir sa connais­sance du milieu marin. A par­tir de là, il dis­po­sait de tout ce qu’il lui fal­lait pour écrire son drame : l’ouvrage d’un autre auteur, des ren­sei­gne­ments gla­nés çà et là, et son ima­gi­na­tion débor­dante. Le résul­tat est une réus­site. On y trouve les grands sen­ti­ments amou­reux propres à l’époque roman­tique, un code d’honneur porté à un paroxysme dont les hommes poli­tiques actuels feraient bien de s’inspirer.

Le roman se lit d’une traite, tant on a envie de décou­vrir com­ment l’auteur va résoudre les situa­tions qu’il met en scène entre la mère cou­pable d’adultère, son enfant qu’elle rejette, son infi­dé­lité qu’elle cache mais qui, plus tard, loin de com­prendre sa fille éga­le­ment enceinte hors des liens du mariage, lui fait subir des souf­frances morales ter­ribles…
La pré­sente édi­tion est l’oeuvre d’Anne-Marie Callet-Bianco qui enri­chit le texte de Dumas d’un abon­dant et éru­dit dos­sier biblio­gra­phique. Elle offre, outre sa propre pré­face qui plante avec jus­tesse le décor, les deux pré­faces du roman­cier, celle de l’édition de 1838 et celle, plé­tho­rique, de la réédi­tion de 1856. Quelques lettres en lien direct, un article d’Alphonse Karr qui pointe quelques inexac­ti­tudes dans les termes mari­times employés, une biblio­gra­phie et de nom­breuses notes expli­ca­tives com­plètent heu­reu­se­ment le dossier.

Une magni­fique pré­sen­ta­tion pour un superbe roman à décou­vrir sans délai.

serge per­raud

Alexandre Dumas, Le capi­taine Paul, Folio Clas­sique n° 6287, mars 2017, 368 p. – 7,70 €.

 

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