Une intrigue d’une actualité brûlante
On ne peut pas dire qu’un courant de sympathie passe entre Jean Carré, inspecteur du travail dans le 3e arrondissement de Paris et Dan Moïse, officier de police, lors de leur rencontre dans une cave difficile d’accès du 29 rue Charlot. Un ouvrier chinois a eu le bras droit, non pas arraché par une machine comme le pensait Jean, mais coupé au sabre comme l’affirme Dan. Ce n’est donc pas une affaire de non-respect de la sécurité mais une affaire criminelle. Cependant, crime ou accident du travail il allait falloir, pour Jean, rédiger un rapport. De plus, cette petite entreprise semblait faire fi du droit du travail.
C’est Dan qui le rappelle, quelques jours plus tard, pour lui annoncer que Mme Zhu, que Jean a rencontrée la semaine dernière, a été assassinée avec sa fille. Son mari a disparu. Il lui demande s’il a été également destinataire d’une lettre anonyme, un document de plusieurs pages fort documentées qui cible quarante-cinq entreprises chinoises du quartier, les accusant de trafic, corruption, prostitution… Et l’affaire dérape. Jean va être confronté à : “…trois morts, une mutilation, deux disparus, deux suspects, une tentative de compromission, un passage à tabac, une menace sur ses enfants, une double protection rapprochée, une explosion suivie d’un incendie…” Et il reste face à un trafic inconnu !
Pour ce premier volet d’une trilogie (Cérium — Samarium – Lanthiane), le duo Gérard Filoche et Patrick Raynal met en scène un héros qui œuvre comme inspecteur du travail dans le 3e arrondissement de Paris. Celui-ci se trouve en butte à une affaire qui dépasse le cadre de ses attributions professionnelles. C’est une activité que connaît bien Gérard Filoche, ancien inspecteur. Cette connaissance lui permet de nourrir le texte de mille détails, d’anecdotes qui donnent une vraie dimension, un ton et une véracité certains à l’intrigue. Une intrigue qui prend en compte la réalité du quartier où elle se déroule, une zone qui concentre une communauté chinoise, une population de commerçants, d’artisans qui vivent sans trop se préoccuper du droit social français. Le cérium, qui donne son titre au présent roman, est le plus abondant du groupe qualifié de Terres rares, ces métaux devenus stratégiques dans l’économie mondiale.
Les auteurs décrivent cet arrondissement, donnent un bref historique sur les racines de l’activité de « batteurs de métaux » livrant nombre de faits, de particularités sur le fonctionnement de ces structures où la débrouille est la règle numéro 1, avec le goût du secret. Outre une description physique du quartier, des éléments architecturaux remarquables, tel cet ange géant du sculpteur Delange, ils émaillent leur récit de rappels d’événements historiques s’étant déroulés dans certains de ces lieux. Des dialogues enlevés, dynamiques, riches en formulations et réflexions s’intègrent dans une histoire riche en rebondissements, péripéties et coups de théâtre. Le héros, dont on partage le quotidien banal, est un grand amateur de lecture. Même si Patrick Raynal est un spécialiste de la littérature américaine, il est regrettable qu’il lui donne à lire du James Ellroy. Il y a tellement d’auteurs francophones qui proposent des romans magnifiques qu’il aurait pu se dispenser d’aller chercher une “tête de gondole” de ce genre.
Ancien garant du droit du travail, syndicaliste plus que convaincu, Gérard Filoche impulse dans le cours de son récit ses convictions, cite nombre d’exemples d’infractions, fait vivre la réalité de ces fonctionnaires qui : “…étaient impopulaires alors que, justement, ils protégeaient le populaire.” Cérium est un superbe roman qui, avec une intrigue relevée, aborde des sujets très actuels dans un cadre renforcé par les enjeux de la prochaine mandature présidentielle.
serge perraud
Gérard Filoche & Patrick Raynal, Cérium, Cherche Midi, coll. Thriller, avril 2017, 270 p. – 19,80 €.