Avec un sujet d’actualité brûlante, Ahmed Tiab tisse une histoire humaniste et criminelle sur la recherche des racines, de l’identité, d’une famille. Boris, un des personnages principaux, est un enfant abandonné qui a, cependant, trouvé un certain équilibre auprès d’une militante qui lui sert de mère. C’est un garçon qui se laisse bercer par les événements, baloter sans vraiment se plaindre ni se révolter. Il est casanier, fervent lecteur, noue des relations sans lendemains, sans vouloir construire une cellule familiale. Il est bousculé dans ses habitudes par l’annonce d’un possible frère, par l’embryon d’une famille. Ce choc va le lancer à la recherche de cette mère disparue, de ce père mort quand il était bambin…
Sa quête, après moult péripéties, va le conduire à Oran où il rencontre le commissaire Kémal Fadil (le héros des deux précédents romans de l’auteur parus dans la même collection). Celui-ci enquête sur des meurtres dont la mise en scène évoque le chamanisme.
La première parte relate la dispute tragique d’un couple pris de boisson sur un bout de rade au Havre.
À Oran, en 1985, Boualem commence une carrière de commerçant avec une paire de tennis usagés et l’arrivée des islamistes sur la scène politique. Usant de connexions religieuses, il développe un réseau de “trabendo”, de contrebande de cigarettes, jusqu’au moment où tout bascule et qu’il se retrouve dans la même situation que celui qu’il avait dépouillé. Il fuit en France et tel Hermès propose deux visages, le brave algérien qui a fui le GIA et le contrebandier intraitable.
Boris a huit ans quand il est posé devant la porte de Rose, par Laure, sa mère. Elle ne reviendra pas le chercher. Il a dix-neuf ans quand Rose décède lui laissant son appartement. Lorsqu’il se décide à le faire rénover, c’est Gino, le fils de la gardienne qui s’en occupe. C’est le premier à entrer dans l’intimité de Boris, toutes les intimités, à vingt-trois ans. Rose lui avait trouvé un boulot de secrétaire administratif, l’enjoignant de se former aux nouvelles technologies. C’est quelques années plus tard qu’il veut passer à l’acte. En sortant d’une officine d’informatique en banlieue, il est suivi jusque chez lui par Oussa qui veut lui montrer un MMS où son copain Bath, parti en Syrie, pose avec un groupe. Parmi eux, un barbu est le portrait craché de Boris. Cette vision déclenche en lui le besoin irrépressible de retrouver les traces de sa mère, savoir s’il a une famille, qui était son père… Dans les affaires de Rose, il trouve Honfleur, le lieu où Laure aurait été vue pour la dernière fois…
Ses recherches le conduisent en Normandie, puis en Turquie, en Algérie dans un périple risqué mais riche en révélations.
L’auteur porte un regard aiguisé sur les faits de la société actuelle, tant sur la forme que sur le fond, alignant des analyses fines et pertinentes sur des situations, des actes et des motivations, en quelques mots appropriés qui soulignent une belle et précise expression des idées et des sentiments. Ainsi, il rapproche les départs vers une Syrie mystique d’une nouvelle route vers Katmandou, avec le même rejet d’une société de consommation et la quête d’un nouvel éden spirituel.
Une large partie de l’intrigue se déroule à Oran. L’auteur décrit un pays où le charlatanisme prolifère sur l’ignorance et la misère, un pays qui a régressé sous les coups des religieux pour exclure, par exemple, toute approche psychothérapeutique afin de revenir à des traitements prescrits par des charlatans qui savent à peine lire et écrire, mais se disent habités d’un don de dieu.
La quête initiatique de Boris, la traque d’un tueur en série dans la société algérienne d’aujourd’hui vont se rejoindre pour un final éblouissant.
Les gymnopédies étaient des festivités religieuses organisées à Sparte pour honorer Apollon (encore et toujours lui !) et en hommage aux guerriers morts à la bataille des Champions. Les Gymnopédies sont trois œuvres pour piano composées par Erik Satie en 1888. Il avait choisi ce terme car celui-ci évoque d’abord la danse. De plus, Satie était originaire d’Honfleur.
Gymnopédie pour une disparue se révèle un magnifique roman, nanti d’intrigues diverses et captivantes, servies par des personnages construits avec soin, attachants et un humour subtil tout en retenu..
serge perraud
Ahmed Tiab, Gymnopédie pour une disparue, L’aube, coll. “Noire”, janvier 2017, 280 p. – 19,90 €.