La restauration de la puissance russe, parce qu’elle constitue une rupture majeure avec la période d’unipolarité américaine, contribue à la révolution géopolitique à l’œuvre sous nos yeux. Au centre de ce séisme qui voit la Russie briser la dynamique d’expansion de l’Otan (Géorgie, Ukraine) et jouer le rôle de gendarme dans la crise syrienne, un homme qui suscite bien des interrogations, Vladimir Poutine. Diabolisé par les médias et comparé à Hitler par l’ingénieuse Mme Clinton, il ne se laisse pas facilement percer à jour, pas plus que sa politique. Est-il l’héritier fidèle du KGB ? Du nationalisme grand-russe ? Ou des deux ?
Quoi qu’il en soit, son passage à la présidence russe a transformé l’histoire de son pays et du monde, on ne peut le nier. On lira donc avec un grand intérêt la courte mais percutante analyse écrite par Thomas Flichy de la Neuville, professeur à Saint-Cyr Coëtquidan, et Eloi Minjoulat-Rey, jeune et prometteur chercheur en géopolitique à l’Institut Albert le Grand, sur le retour de la Russie sur la scène internationale décrit comme une sortie du tombeau où les libéraux américano-européens l’avaient déjà ensevelie à la fin des années 1990.
Avec une plume alerte, une profondeur historique aussi remarquable qu’indispensable et une grande liberté de ton, les auteurs insistent sur le contenu civilisationnel de la politique poutinienne, sur ce refus de laisser le soft power occidental dissoudre la culture russe, combat indissociable de celui pour le respect des identités et de la souveraineté nationale. S’appuyant sur des alliés continentaux et la défense du droit international – néanmoins mis à mal en Crimée… –, Moscou conteste le projet d’Amérique-monde.
Le résultat est sans appel : un axe central Moscou-Pékin-Téhéran autour duquel se développent des relations avec New Delhi et surtout avec Ankara, ultime renversement de perspective obtenu par les Russes, sans parler des partenariats avec le Maroc, la Tunisie, l’Egypte, et même avec les très pro-américaines Arabie Saoudite et Israël. Plus rien ne peut se faire en Syrie sans la Russie et la dynamique vers une Eurasie sous contrôle russe et chinois parait irréversible, même s’il convient de ne pas sous-estimer les oppositions structurelles de nature à miner de l’intérieur cette union.
Les pages sur les rapprochements américano-russes dans l’histoire permettent de replacer la politique de Trump – encore très balbutiante – dans une éclairante perspective. Après tout, cela n’aurait rien de nouveau, le président honni des bien-pensants retrouvant de vieux réflexes des républicains avant leur adhésion aux projets néo-conservateurs.
Ce riche livre nous rappelle que l’histoire n’a pas de sens prédéfini et que rien n’est irréversible, pas plus le déclin de la Russie – même si elle reste minée par des fragilités intérieures, la faiblesse démographique en premier lieu – que celui de l’Europe asphyxiée dans l’Union européenne. On n’oubliera cependant pas que Vladimir Poutine défend les intérêts de la Russie, et de la Russie seule.
frederic le moal
Thomas Flichy de la Neuville & Eloi Minjoulat-Rey, Et la Russie sortit du tombeau, Terra Mare, février 2017, 101 p. — 14,00 €