Après la plus grande catastrophe nucléaire…
Pripyat est une ville modèle construite à trois kilomètres de la centrale. Les cinquante mille habitants n’ont été prévenus et évacués que le lendemain, soit trente heures après l’explosion. Ils ont été exposés, sur cette période, à des niveaux de rayonnement mille fois supérieurs à la normale. Peu à peu, ces zones contaminées ont été vidées de leurs habitants, des villages rasés. Cependant, nombre de personnes continuent, malgré les risques, de vivre dans la région.
Aurélien Ducoudray est venu à ce scénario après la découverte de La Supplication, le livre-témoignage de la journaliste Svetlana Aleksievitch, prix Nobel de littérature en 2015. Parmi toutes les informations recensées, deux pages sont consacrées à un homme qui avait pour travail d’aller tuer les animaux de compagnie abandonnés par les habitants lors de leur évacuation.
Kolia et son père regardent les dix chiots qui tètent. Le père demande à son fils d’en amener un d’une autre portée qui prend une place sans que les autres réagissent. L’homme veut des chiens de meute. Il décide de tuer ces chiots trop conciliants et force Kolia à les noyer dans le puits après en avoir gardé un. C’est alors que l’adolescent voit le ciel brûler. L’action se déroule en avril 1986, quand un réacteur de la centrale de Tchernobyl explose.
Six mois plus tard, un groupe d’hommes, armés de fusils, est en route pour entrer dans la zone irradiée. Ils vont chasser les chiens radioactifs à raison de trente roubles par tête. En chemin, dans le secteur, ils sont arrêtés par une silhouette en combinaison étanche pour laisser passer une troupe pareillement vêtue. Et c’est la traque des chiens. Kolia, l’adolescent, doit tuer le premier. Mais il ne peut le faire car la bête lui fait la fête, trop heureuse de revoir des humains. C’est la guerre entre les groupes pour s’approprier des cadavres, le matériel. Puis Kolia est entraîné sur la piste de ces étranges silhouettes qui rodent…
C’est sur ce récit que le scénariste a conçu son histoire. Il la place six mois après la catastrophe, amplifiant toutefois l’état d’abandon de la ville, les dégradations. Mais il fait référence à ce qui existe, ces personnes qui ne veulent pas partir et qui vivent dans des conditions précaires, les pillages de toutes natures, les récupérateurs de matière à haute valeur comme le laiton, l’acier… Cette période, qui correspond avec l’effondrement de l’État soviétique, voit émerger une religion qui n’avait jamais été vraiment éradiquée. De plus, la vision de Saint-Christophe qui est représenté sur des icônes avec une tête de chien, confortait l’idée de base tout en introduisant une dimension fantastique déjà présente dans cet album. Elle sera amplifiée dans le second d’après les confidences du scénariste.
Le dessin semi-réaliste est l’œuvre de Christophe Alliel qui a su donner, avec son sens du détail, le côté documentaire du début de l’album, puis aller vers un graphisme plus intimiste. Avec un trait à la fois gracieux et d’une intensité palpable, il retranscrit l’ambiance qui règne et l’atmosphère de cette époque et fait exprimer avec brio les sentiments des personnages.
Ce premier volet du diptyque se découvre avec un grand intérêt pour une plongée dans un univers apocalyptique qui ne doit rien à la fiction.
serge perraud
Aurélien Ducoudray (scénario), Christophe Alliel (dessins), Magali Paillat (couleurs), Les Chiens de Pripyat, t.1 : “Saint Christophe”, Bamboo, coll. « Grand Angle », janvier 2017, 56 p. – 13,90 €.