Aurélien Ducoudray & Christophe Alliel, Les Chiens de Pripyat — t.1 : “Saint Christophe”

Après la plus grande catas­trophe nucléaire…

Pripyat est une ville modèle construite à trois kilo­mètres de la cen­trale. Les cin­quante mille habi­tants n’ont été pré­ve­nus et éva­cués que le len­de­main, soit trente heures après l’explosion. Ils ont été expo­sés, sur cette période, à des niveaux de rayon­ne­ment mille fois supé­rieurs à la nor­male. Peu à peu, ces zones conta­mi­nées ont été vidées de leurs habi­tants, des vil­lages rasés. Cepen­dant, nombre de per­sonnes conti­nuent, mal­gré les risques, de vivre dans la région.
Auré­lien Ducou­dray est venu à ce scé­na­rio après la décou­verte de La Sup­pli­ca­tion, le livre-témoignage de la jour­na­liste Svet­lana Alek­sie­vitch, prix Nobel de lit­té­ra­ture en 2015. Parmi toutes les infor­ma­tions recen­sées, deux pages sont consa­crées à un homme qui avait pour tra­vail d’aller tuer les ani­maux de com­pa­gnie aban­don­nés par les habi­tants lors de leur évacuation.

Kolia et son père regardent les dix chiots qui tètent. Le père demande à son fils d’en ame­ner un d’une autre por­tée qui prend une place sans que les autres réagissent. L’homme veut des chiens de meute. Il décide de tuer ces chiots trop conci­liants et force Kolia à les noyer dans le puits après en avoir gardé un. C’est alors que l’adolescent voit le ciel brû­ler. L’action se déroule en avril 1986, quand un réac­teur de la cen­trale de Tcher­no­byl explose.
Six mois plus tard, un groupe d’hommes, armés de fusils, est en route pour entrer dans la zone irra­diée. Ils vont chas­ser les chiens radio­ac­tifs à rai­son de trente roubles par tête. En che­min, dans le sec­teur, ils sont arrê­tés par une sil­houette en com­bi­nai­son étanche pour lais­ser pas­ser une troupe pareille­ment vêtue. Et c’est la traque des chiens. Kolia, l’adolescent, doit tuer le pre­mier. Mais il ne peut le faire car la bête lui fait la fête, trop heu­reuse de revoir des humains. C’est la guerre entre les groupes pour s’approprier des cadavres, le maté­riel. Puis Kolia est entraîné sur la piste de ces étranges sil­houettes qui rodent…

C’est sur ce récit que le scé­na­riste a conçu son his­toire. Il la place six mois après la catas­trophe, ampli­fiant tou­te­fois l’état d’abandon de la ville, les dégra­da­tions. Mais il fait réfé­rence à ce qui existe, ces per­sonnes qui ne veulent pas par­tir et qui vivent dans des condi­tions pré­caires, les pillages de toutes natures, les récu­pé­ra­teurs de matière à haute valeur comme le lai­ton, l’acier… Cette période, qui cor­res­pond avec l’effondrement de l’État sovié­tique, voit émer­ger une reli­gion qui n’avait jamais été vrai­ment éra­di­quée. De plus, la vision de Saint-Christophe qui est repré­senté sur des icônes avec une tête de chien, confor­tait l’idée de base tout en intro­dui­sant une dimen­sion fan­tas­tique déjà pré­sente dans cet album. Elle sera ampli­fiée dans le second d’après les confi­dences du scénariste.

Le des­sin semi-réaliste est l’œuvre de Chris­tophe Alliel qui a su don­ner, avec son sens du détail, le côté docu­men­taire du début de l’album, puis aller vers un gra­phisme plus inti­miste. Avec un trait à la fois gra­cieux et d’une inten­sité pal­pable, il retrans­crit l’ambiance qui règne et l’atmosphère de cette époque et fait expri­mer avec brio les sen­ti­ments des per­son­nages.
Ce pre­mier volet du dip­tyque se découvre avec un grand inté­rêt pour une plon­gée dans un uni­vers apo­ca­lyp­tique qui ne doit rien à la fiction.

serge per­raud

Auré­lien Ducou­dray (scé­na­rio), Chris­tophe Alliel (des­sins), Magali Paillat (cou­leurs), Les Chiens de Pri­pyat, t.1 : “Saint Chris­tophe”, Bam­boo, coll. « Grand Angle », jan­vier 2017, 56 p. – 13,90 €.

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