Pierre Bordage, Échos dans le temps

Un para­doxe tem­po­rel par­fai­te­ment maîtrisé

Parmi les para­doxes tem­po­rels, qui font les beaux jours de la science-fiction, le voyage vers le passé ou vers le futur, est l’un des pré­fé­rés des auteurs. Nombre s’y sont essayés avec plus ou moins de bon­heur, plus ou moins d’à-propos dans le trai­te­ment du sujet. Pierre Bor­dage, en auteur com­plet, aborde ce thème pour la pre­mière fois et en pro­pose une varia­tion fort inté­res­sante autour d’un couple com­posé d’un voya­geur tem­po­rel et d’une native qui connaît bien des sou­cis dans sa courte vie. Il retient, comme décor, outre un pas­sage obligé par Roissy, des lieux bien déser­tés des popu­la­tions. D’abord ce pla­teau du causse Méjean, en France, puis le Bhou­tan, ce petit Etat situé dans la chaîne de l’Himalaya, coincé entre l’Inde et la Chine.

Par cour­riel, une per­sonne essaie de recon­tac­ter d’anciens cor­res­pon­dants. Il rap­pelle qu’ils ont signé un pacte et sont arri­vés en… 1918. Il est temps, juge la per­sonne qui signe V. pointe 2 de la Tri­murgi, de se retrou­ver.
Jeanne vient d’entendre le diag­nos­tic de son neu­ro­logue. Sa mala­die orphe­line, l’Insomnie Fatale Fami­liale (IFF) la condamne dans le délai d’un an. Mais, avant elle subira de fortes dégra­da­tions phy­siques. Mise en congé mala­die de longue durée, elle a trouvé refuge chez son père dans un minus­cule vil­lage du causse Méjean. Elle fait par­tie d’une famille aux mau­vaises cartes géné­tiques. Son arbre généa­lo­gique est riche en patho­lo­gies lourdes. Son jeune frère han­di­capé men­tal vit avec eux. Une nuit, elle res­sent un écho qui la guide vers un homme éva­noui sur le causse. Étran­ge­ment vêtu, il dit s’appeler Kort et semble tout igno­rer du monde actuel. Dès qu’il est remis de ses fatigues, il veut par­tir bien que n’ayant ni moyen de loco­mo­tion, ni argent, ni papiers. Elle décide de l’emmener jusqu’à Mil­lau pour ten­ter de trou­ver une solu­tion. La pré­sence de Kort apaise les maux de Jeanne.
Un bou­chon inha­bi­tuel à l’entrée de la ville inquiète Kort qui la presse de retour­ner à la mai­son. Jeanne y trouve son père et son frère dans une sorte de coma. Kort lui explique qu’une porte tem­po­relle s’est ouverte et qu’ils ont été blo­qués. Il veut se rendre dans une loca­lité où il pense trou­ver un début de piste.
Pen­dant ce temps, par échanges de cour­riels, les mys­té­rieux inter­lo­cu­teurs décident de se retrou­ver à Tim­phu, capi­tale du Bhou­tan, avant de se perdre à nou­veau dans une région déser­tique. Ils craignent l’arrivée de tueurs envoyés par ceux qui les ont condam­nés au blo­cage à per­pé­tuité.
Kort entraîne Jeanne sur leur piste, une Jeanne qui ne com­prend rien à ce qui lui arrive mais qui trouve récon­fort près de lui…

Pierre Bor­dage conçoit son intrigue avec un homme du futur à la recherche d’un trio qui avait fui le châ­ti­ment ordonné par les auto­ri­tés de l’époque. Mais ce poli­cier est lui-même suivi par d’autres dont la mis­sion semble être l’élimination pure et simple de tous. Il mêle à cette chasse  une jeune femme à la santé décli­nante mais qui va cepen­dant jouer un rôle pri­mor­dial dans ce récit. Avec Jeanne, le roman­cier construit un superbe per­son­nage, Il truffe son récit des misères cor­po­relles humaines, de ce corps qui se dégrade sous l’effet de la mala­die, de l’âge. Il évoque les ten­ta­tions mul­tiples pour trou­ver des solu­tions quand la méde­cine offi­cielle déclare for­fait. Il pose quelques ques­tions méta­phy­siques quant à la per­cep­tion de la vie, de son contenu, de son dérou­le­ment et de son iné­luc­table échéance. Est-on prêt à mou­rir ? A-t-on envie de quit­ter cette vie même si elle apporte son lot de dif­fi­cul­tés et de cha­grins ?
Il conçoit une intrigue menée avec maes­tria à la fois dans son dérou­le­ment dans sa pro­gres­sion et dans les inter­con­nexions entre les acteurs du drame. Spé­cia­liste de romans d’anticipation, de la pro­jec­tion de don­nées d’aujourd’hui vers un futur incer­tain, Bor­dage sait pro­po­ser des trans­ferts plau­sibles et cohé­rents. Mais cette his­toire est aussi l’occasion de mettre en scène ces phi­lo­so­phies orien­tales qui prônent l’amour, le res­pect de l’humain, la beauté de l’esprit et de la nature.
La lec­ture d’Échos dans le temps offre, comme son thème, un voyage spatio-temporel dans une remar­quable intrigue digne d’un thril­ler, dans la tranche de vie dif­fi­cile d’une héroïne, ô com­bien !, empathique.

serge per­raud

Pierre Bor­dage, Échos dans le temps, Édi­tions J’ai Lu n° 11637, coll. “Science-Fiction”, jan­vier 2017, 192 p. – 6,00 €.

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