La barbarie au nom de l’ordre établi
Les sorcières n’ont jamais été autant traquées, pourchassées qu’entre le XVIe et le XVIIe siècle. Pourquoi cet acharnement de la part de l’Église, de juges ? Qui étaient ces femmes aux pouvoirs maléfiques, ces apôtres du diable, que l’on a torturées, brûlées ? Carole Sandrel propose une étude exhaustive de ce fait de société depuis les sources de celui-ci jusqu’à son extinction, si extinction il peut y avoir !
L’auteure place, d’entrée de jeu, son propos avec cette question : “Sorcières ou coupables d’être femmes ?” Puis, elle cherche à cerner la perception de la féminité, la place de la femme dans la société occidentale et son rapport au pouvoir vis-à-vis des hommes. De tout temps, ceux-ci ont cherché, et réussi, à écraser la femme, au mieux à la cantonner dans un rôle dépendant, presque prisonnière à la maison. Toutefois, quelques sociétés ont fait une large place aux femmes dans la cité, une place qu’elles ont su tenir avec dignité. C’était ainsi, pratiquement au haut Moyen Âge et jusqu’au début du XVIe siècle. C’est en 1513 que commence, avec la parution du manuel d’un juriste, la dégradation du statut de la femme et sa descente aux enfers.
Bien sûr, pour contribuer à cette descente, les religieux occupent la première place, religieux de toutes confessions d’ailleurs car la haine de la femme est sans nul doute le point commun de cette engeance. Tous prêchent son asservissement. Certains font même rappeler dans leurs prières du matin : “Sois loué, Dieu… pour ne pas m’avoir fait femme !” Bien sûr, ceux-ci proposent des explications plus que tarabiscotées, essaient de donner un autre sens, mais il suffit de se pencher sur la place de l’épouse juive pour en comprendre la véritable portée.
L’historienne évoque le rôle de la femme dans la communauté, sa présence dans le cycle de la vie, à la naissance et à la mort. Et puis elle redit la facilité, la nécessité, quand tout va mal, et dieu sait si cela allait mal à cette période, de trouver des responsables, des coupables. Ces femmes qui avaient quelques connaissances, une petite expérience née de la pratique, qui se tenaient un peu à l’écart et ne voulaient se plier à tous les diktats religieux faisaient des criminelles idéales.
Puis Sandrel explicite les procédures utilisées par les inquisiteurs, par les juges, pour faire dire à ces femmes qu’elles étaient des sorcières, qu’elles entretenaient des relations coupables avec le diable. En effet, il était indispensable, pour eux, d’obtenir des aveux aussi détaillés que possible car les preuves concrètes manquaient. Et pour cause ! Personne n’a jamais surpris un sabbat, une femme à voler sur le dos d’un bouc… C’est donc sous la torture que ces femmes avouent tout et n’importe quoi. Certaines révélaient même qu’elles avaient rencontré leurs juges lors de sabbats.
La recherche de la marque du diable, des zones soi-disant insensibles, était particulièrement vicieuse. Quand les victimes criaient, sous la douleur, les juges déclaraient qu’elles simulaient. Avec des arguments de ce genre, il était évident que ces personnes étaient condamnées d’avance. Que des esprits dits ouverts, des lettrés, des gens instruits se soient prêtés à cette abjection est inconcevable. Et pourtant !
L’auteure puise ses propos, les arguments de son récit, les interrogations et les affirmations dans les principaux ouvrages sur lesquels s’appuyaient les démonologues, en particulier le tristement célèbre marteau des Sorcières d’Henry Institoris et Jacques Sprenger. Celui-ci, édité pour la première fois en 1486, vise d’emblée les femmes et uniquement les femmes. Puis Carole Sandrel évoque nombre de procès en sorcellerie, brossant un tableau complet de ce qui s’est fait dans le genre. Son étude est exhaustive avec quelques sorciers et les enfants. Sorciers eux-mêmes, enfants de sorcières contaminés par leur génitrice et enfants délateurs dont la célèbre Morguy qui, au pays basque, envoya presque six cents femmes au bûcher en quelques mois.
Avec Le sang des sorcières, Carole Sandrel signe un superbe ouvrage qui rend justice à ces femmes et qui éclaire, une fois encore, la perfidie des religieux, la perversion de juges, la monstruosité de ces hommes capable de telles ignominies.
serge perraud
Carole Sandrel, Le sang des sorcières, Editions François Bourin, coll. “Histoire”, septembre 2016, 328 p. – 22,00 €.