Guillaume Prévost, Merci pour ce roman — Rentrée 2016.

Au-delà du conte, une vision décapante…

Une reprise de conscience dif­fi­cile, dou­lou­reuse, dans un lieu inconnu, dans un corps qu’il ne recon­naît pas, mais qui de toute évi­dence est le sien. On s’interpelle. “Il est réveillé”. On l’appelle Michel. Il réclame un miroir et découvre un inconnu. Il va se réta­blir, se don­ner les moyens de quit­ter ce mau­vais rêve. Des moyens, il en a, n’est-il pas le pré­sident de la Répu­blique ? Des recherches dans cette mai­son nou­velle lui apportent une piste : Fes­sen­heim… Oui, ça com­mence à lui reve­nir. Il doit abso­lu­ment com­prendre… Il négo­cie avec l’adolescente revêche et rebelle de la mai­son l’usage de l’ordinateur et ainsi revoit la séquence où il ren­contre, à la cen­trale où il est venu, son contra­dic­teur, un cer­tain Michel Gra­vier, syn­di­ca­liste. Mais, alors, Michel Gra­vier…
Celui-ci, qui tra­vaille pour une société de sous-traitance, est per­suadé qu’il a pris La Dose suite à une fuite radio­ac­tive tant il a le corps dou­lou­reux, un corps rétréci comme de vieux vête­ments, un ventre comme un rôti de din­don­neau. Et sur­tout, en plus de l’agent de police, des deux infir­mières, il y a Manuel Balls au pied de son lit !
Com­mence alors, pour les deux hommes, des vies bien dif­fé­rentes de celles aux­quelles ils étaient habi­tués. Fran­çois Hol­lande découvre le monde ignoré des ouvriers, la nour­ri­ture infâme de Midl et cherche par tous les moyens, des moyens for­cé­ment limi­tés, à se faire recon­naître comme le Pré­sident. De plus, il est l’objet d’une enquête poli­cière rela­tive à un meurtre où il fait figure de prin­ci­pal sus­pect. Michel Gra­vier est pro­pulsé dans un uni­vers où on satis­fait à toutes ses demandes, mais où les contraintes sont très fortes.

Guillaume Pré­vost mène un remar­quable tra­vail sur la psy­cho­lo­gie de ses héros, tant sur la per­son­na­lité de Fran­çois Hol­lande que sur celle de Michel Gra­vier, ce syn­di­ca­liste, ouvrier dans la cen­trale nucléaire de Fes­sen­heim. Le roman­cier sait être exhaus­tif et de donne pas qu’une ver­sion à charge. Il expose, pour cha­cun, tous les aspects, les dif­fi­cul­tés, les blo­cages dus tant à la per­son­na­lité, au par­cours, qu’au contexte et au cadre géné­ral où se prennent les déci­sions. Si les sou­haits d’un syn­di­ca­liste sont (saufs ceux tou­chants direc­te­ment au confort de sa per­sonne) par­fai­te­ment louables et justes, ils se heurtent, pour leur mise en œuvre, à un tas de consi­dé­ra­tions dif­fi­ci­le­ment maî­tri­sables. Il laisse à Fran­çois Hol­lande le béné­fice du doute quant à sa volonté de réfor­mer mais se noyant, dès le début, dans une incon­ci­liable union de requins prêts à tout pour satis­faire leur goût du luxe et leur ambition.

Chacun découvre alors, avec beau­coup de cocas­se­rie l’envers de la vie de l’autre, de celui dont il a pris la place : la maî­tresse inat­ten­due du syn­di­ca­liste, les liens du pré­sident avec les femmes de sa vie… Guillaume Pré­vost donne à son pro­pos un ton dro­la­tique, décalé, enlevé, mais par­fai­te­ment docu­menté, s’appuyant sur une bonne connais­sance de la poli­tique fran­çaise, de ses ténors et du monde ouvrier. Il pointe aussi le déca­lage qu’il peut y avoir entre l’homme et la fonc­tion, entre la nature de celui qui est der­rière le titre et ses res­pon­sa­bi­li­tés. Il inter­roge aussi sur la capa­cité de l’homme nor­mal, l’homme de la rue à deve­nir pré­sident, même si tout le monde à son idée sur ce qu’il convien­drait de faire de mieux et com­ment le faire. Mais il montre aussi la com­plexité de la fonc­tion : “Parce qu’à bien des égards pré­sident était un métier de merde.“Il expose les trucs et les manières pour tou­jours répli­quer comme : “Reprendre les mots de la ques­tion pour ember­li­fi­co­ter la réponse.”, avoir à sa dis­po­si­tion quelques phrases-types passe-partout employées pour satis­faire ses inter­lo­cu­teurs.
Le roman­cier affuble les per­son­nages authen­tiques de patro­nymes très trans­pa­rents mais per­ti­nents et par­fai­te­ment adap­tés soit au carac­tère de l’individu, soit à son par­cours. Il pointe aussi nombre de dys­fonc­tion­ne­ments, qu’aucun réfor­ma­teur ne veut réel­le­ment chan­ger comme le luxe des bureaux pré­si­den­tiels, ce fatras de pro­cé­dures d’un autre âge, copiées sur ce qui se pas­sait au Tri­anon, celles rela­tives aux poli­tiques mises en œuvre sans suivi ni véri­fi­ca­tion : ali­gner le niveau d’éducation sur les plus faibles, les fameux trente mil­liards du pacte de res­pon­sa­bi­lité…
Merci pour ce roman, un titre magni­fique qui ouvre sur un livre humo­ris­tique, drôle, par­fois grin­çant, mais qui s’efforce de pré­sen­ter de façon objec­tive un homme, dans une fable poli­tique docu­men­tée et déca­lée sans perdre sa luci­dité : “… et par­tout dans le pays, des incon­nus qui trem­paient leur pain dans le café en se deman­dant com­ment ils avaient pu élire ce gui­gnol cinq ans plus tôt.

serge per­raud

Guillaume Pré­vost, Merci pour ce roman, Édi­tions Fran­çois Bou­rin, coll. “Roman”, sep­tembre 2016, 288 p. – 19,00 €.

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