Au-delà du conte, une vision décapante…
Une reprise de conscience difficile, douloureuse, dans un lieu inconnu, dans un corps qu’il ne reconnaît pas, mais qui de toute évidence est le sien. On s’interpelle. “Il est réveillé”. On l’appelle Michel. Il réclame un miroir et découvre un inconnu. Il va se rétablir, se donner les moyens de quitter ce mauvais rêve. Des moyens, il en a, n’est-il pas le président de la République ? Des recherches dans cette maison nouvelle lui apportent une piste : Fessenheim… Oui, ça commence à lui revenir. Il doit absolument comprendre… Il négocie avec l’adolescente revêche et rebelle de la maison l’usage de l’ordinateur et ainsi revoit la séquence où il rencontre, à la centrale où il est venu, son contradicteur, un certain Michel Gravier, syndicaliste. Mais, alors, Michel Gravier…
Celui-ci, qui travaille pour une société de sous-traitance, est persuadé qu’il a pris La Dose suite à une fuite radioactive tant il a le corps douloureux, un corps rétréci comme de vieux vêtements, un ventre comme un rôti de dindonneau. Et surtout, en plus de l’agent de police, des deux infirmières, il y a Manuel Balls au pied de son lit !
Commence alors, pour les deux hommes, des vies bien différentes de celles auxquelles ils étaient habitués. François Hollande découvre le monde ignoré des ouvriers, la nourriture infâme de Midl et cherche par tous les moyens, des moyens forcément limités, à se faire reconnaître comme le Président. De plus, il est l’objet d’une enquête policière relative à un meurtre où il fait figure de principal suspect. Michel Gravier est propulsé dans un univers où on satisfait à toutes ses demandes, mais où les contraintes sont très fortes.
Guillaume Prévost mène un remarquable travail sur la psychologie de ses héros, tant sur la personnalité de François Hollande que sur celle de Michel Gravier, ce syndicaliste, ouvrier dans la centrale nucléaire de Fessenheim. Le romancier sait être exhaustif et de donne pas qu’une version à charge. Il expose, pour chacun, tous les aspects, les difficultés, les blocages dus tant à la personnalité, au parcours, qu’au contexte et au cadre général où se prennent les décisions. Si les souhaits d’un syndicaliste sont (saufs ceux touchants directement au confort de sa personne) parfaitement louables et justes, ils se heurtent, pour leur mise en œuvre, à un tas de considérations difficilement maîtrisables. Il laisse à François Hollande le bénéfice du doute quant à sa volonté de réformer mais se noyant, dès le début, dans une inconciliable union de requins prêts à tout pour satisfaire leur goût du luxe et leur ambition.
Chacun découvre alors, avec beaucoup de cocasserie l’envers de la vie de l’autre, de celui dont il a pris la place : la maîtresse inattendue du syndicaliste, les liens du président avec les femmes de sa vie… Guillaume Prévost donne à son propos un ton drolatique, décalé, enlevé, mais parfaitement documenté, s’appuyant sur une bonne connaissance de la politique française, de ses ténors et du monde ouvrier. Il pointe aussi le décalage qu’il peut y avoir entre l’homme et la fonction, entre la nature de celui qui est derrière le titre et ses responsabilités. Il interroge aussi sur la capacité de l’homme normal, l’homme de la rue à devenir président, même si tout le monde à son idée sur ce qu’il conviendrait de faire de mieux et comment le faire. Mais il montre aussi la complexité de la fonction : “Parce qu’à bien des égards président était un métier de merde.“Il expose les trucs et les manières pour toujours répliquer comme : “Reprendre les mots de la question pour emberlificoter la réponse.”, avoir à sa disposition quelques phrases-types passe-partout employées pour satisfaire ses interlocuteurs.
Le romancier affuble les personnages authentiques de patronymes très transparents mais pertinents et parfaitement adaptés soit au caractère de l’individu, soit à son parcours. Il pointe aussi nombre de dysfonctionnements, qu’aucun réformateur ne veut réellement changer comme le luxe des bureaux présidentiels, ce fatras de procédures d’un autre âge, copiées sur ce qui se passait au Trianon, celles relatives aux politiques mises en œuvre sans suivi ni vérification : aligner le niveau d’éducation sur les plus faibles, les fameux trente milliards du pacte de responsabilité…
Merci pour ce roman, un titre magnifique qui ouvre sur un livre humoristique, drôle, parfois grinçant, mais qui s’efforce de présenter de façon objective un homme, dans une fable politique documentée et décalée sans perdre sa lucidité : “… et partout dans le pays, des inconnus qui trempaient leur pain dans le café en se demandant comment ils avaient pu élire ce guignol cinq ans plus tôt.”
serge perraud
Guillaume Prévost, Merci pour ce roman, Éditions François Bourin, coll. “Roman”, septembre 2016, 288 p. – 19,00 €.