Une plongée au cœur d’une ville tentaculaire
Pour son premier roman, Leye Adenle propose une histoire forte, dense, dure avec une intrigue solide et une galerie de personnages remarquables. Leye Adenle prend pour décor de son histoire la ville de Lagos au Nigéria, le pays dont il est originaire. Ce décor n’est pas pris au hasard. C’est la ville la plus importante du pays qui, en 2012, était la cité le plus peuplée du continent africain, devant Le Caire et Kinshasa. Longtemps capitale, elle a perdu ce titre en 1976 au profit d’Abuja, une ville située dans une région neutre afin de ne privilégier aucune des trois ethnies principales du Nigéria.
Il installe son intrigue dans la période pré-électorale, une période qui dans tous les pays où l’on peut voter, est un temps de passions exacerbées, d’outrances, de coups bas… Il introduit la magie, une pratique utilisée par les candidats pour s’assurer la victoire aux élections.
Pour financer ses études, une jeune fille accepte deux amants en titre, un banquier et un homme d’affaires très influent de Lagos, Chief Ojo. Elle est recrutée pour le Harem, un club très sélect où son premier client est… Chief Ojo. Malgré les mises en garde, Guy Collins, reporter pour une petite start up, se rend dans une boîte de nuit de Lagos. Il a accepté de venir au Nigéria pour couvrir la campagne des présidentielles parce que Mel, son ex-amie, est d’origine nigériane. Soudain, une vague de prostituées envahit les lieux. Amaka, une jeune et jolie femme, en tenue de businesswoman, est au comptoir d’un bar sélect d’où elle épie un homme assis sur un canapé, occupé à téléphoner. Elle réussit à prendre place près de lui et engage la conversation avec celui qui se présente comme Chief Ojo. Un appel téléphonique la contraint à s’absenter mais elle promet de le retrouver très vite. Comme preuve de sa détermination, elle enlève discrètement son string, lui remet en lui disant qu’elle y tient, l’ayant acheté à Londres dans une boutique de luxe.
Poussé par la curiosité et par l’attrait du scoop, Guy Collins se renseigne auprès du barman qui lui explique que le corps d’une prostituée à été jeté d’une voiture dans le caniveau. On lui a coupé les seins. « Mais, à chaque fois qu’il y a des élections, c’est comme ça. » Les politiciens pratiquent le jaja, une forme de magie noire. Sur les lieux, seul blanc, il est embarqué par la police dans la voiture de l’inspecteur Ibrahim. Pensant impressionner le policier, il ment en se prétendant journaliste à la BBC. Mais son mensonge fait long feu et il se retrouve dans une cellule misérable où un milicien fou fait un carnage.
Amaka est venu demander, à Ibrahim, la libération de toutes les prostituées embarquées parce qu’elles se trouvaient près du lieu du crime. C’est elle qui sort Guy de son inconfortable situation. Le prenant pour un reporter de la BBC, elle veut qu’il enquête sur les a assassinats de filles et qu’il témoigne…
Avec Amaka, l’auteur brosse un magnifique portrait de femme, une femme d’action, forte, déterminée, sachant, avec diplomatie et fermeté, mener à bien le sauvetage de ces filles livrées à la prostitution. Celle-ci, comme dans toutes les concentrations de populations, ouvre sur tous les excès quelle que soit la couche sociale. Le romancier met en scène des hommes d’affaires véreux, des politiciens dont le seul but est l’accession au pouvoir par tous les moyens car celui-ci amène l’impunité et l’occasion d’affaires juteuses au détriment du la grand majorité de la population et du pays. Mais il dénonce également une corruption qui n’est pas que l’apanage des seuls nantis, celle-ci sévissant à tous les niveaux de la société. Adenle confronte son héros, sur les pas d’Amaka, à la pègre nigériane et à leurs féroces réseaux, dressant de la police et de ses bars armés une image guère plus reluisante que celle de la pègre avec toutefois des hommes intègres qui croient en leur mission et qui tentent, solitaires, de la mener à bien.
Une intrigue superbe avec un couple atypique constitué d’une héroïne et d’un anti-héros qui réussit, cependant, à surnager dans le cloaque où il est plongé. Ce premier roman fait attendre un suivant que l’on espère d’une aussi belle facture.
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serge perraud
Leye Adenle, Lagos Lady (Easy Motion Tourist), traduit de l’anglais – Nigéria – par David Fauquemberg, Métailié, Bibliothèque anglo-saxonne – Noir, mars 2016, 336 p. – 20,00 €.