Laurent Galandon & Frédéric Blier, La parole du muet — t.1 : “Le géant et l’effeuilleuse”

Vivre ses rêves !

Délais­sant quelques temps le récit social, Laurent Galan­don pro­pose une his­toire entre conte et romance, entre fable phi­lo­so­phique et aven­ture sen­ti­men­tale. Il place l’intrigue de son dip­tyque en 1927–1928, à une période où le cinéma va vivre une intense muta­tion. Le pre­mier film par­lant vient de sor­tir aux USA. Ce spec­tacle n’est plus une simple attrac­tion de foire. « Le temps des bri­co­leurs et des inven­teurs est fini. Méliès a dis­paru ! C’est main­te­nant une indus­trie où l’argent règne en maître. » Cepen­dant, il reste tou­jours des rêveurs, des esprits forts qui veulent, contre toute évi­dence et tout bon sens, réus­sir leur pari, vivre comme ils aspirent. Avec Céles­tin, le scé­na­riste prend le parti du héros sym­pa­thique, immé­dia­te­ment empa­thique tant sa gen­tillesse et son émer­veille­ment emportent l’adhésion.

Céles­tin est employé par son père dans son étude pro­vin­ciale de notaire. Il est étour­dit et mal­adroit, car ce qu’il fait ne l’intéresse pas. Il rêve d’entrer dans l’univers du cinéma comme réa­li­sa­teur. Un soir, enten­dant ses parents se lamen­ter sur son atti­tude, il fait ses valises et part pour Paris. Il retrouve le patron et boni­men­teur de l’Alcatraz. Las, mal­gré son bagout, Ana­tole For­te­voix ne rem­plit plus sa salle. Il sub­siste, cepen­dant, en orga­ni­sant des séances clan­des­tines où il pro­jette des films éro­tiques. Celui que découvre Céles­tin lui fait grand effet, enthou­siasmé par la jeune femme en qui il voit, au-delà de l’effeuilleuse, une véri­table comé­dienne. Quand il veut en savoir plus sur elle, Ana­tole reste assez éva­sif quant à la pro­ve­nance du film.
Céles­tin décide de ne plus rêver sa vie, mais de vivre son rêve et cherche à se faire embau­cher dans un stu­dio pour deve­nir réa­li­sa­teur. Après de nom­breux refus, il est recruté comme assis­tant… déco­ra­teur. Il se lie avec Mar­cel, un autre déco­ra­teur. Ils évoquent leurs pro­jets, cha­cun rêvant d’une autre fonc­tion. C’est parce qu’il veut lui mon­trer cette comé­dienne qu’il entraîne son nou­vel ami dans une séance. La police fait irrup­tion met­tant pour quelques mois Ana­tole à La Roquette. Les bobines de film sont sai­sies. C’est le musi­cien de l’Alcatraz qui assure l’intérim. Ce der­nier demande à Céles­tin de l’aider pour la comp­ta­bi­lité. Il conti­nue éga­le­ment à dif­fu­ser des films répré­hen­sibles avec un nou­veau spec­tacle qui pré­sente la même effeuilleuse. Céles­tin a des doutes et se met à la recherche de la jeune comé­dienne. C’est le hasard qui va le ser­vir. Mais le hasard ne sait pas, et ne peut pas, tout faire, alors…

Laurent Galan­don, qui a été direc­teur d’un cinéma d’Art et d’essai, nous entraîne dans une his­toire où il livre sans aucun doute quelques élé­ments auto­bio­gra­phiques quant à la poli­tique menée pour la défense d’un cinéma de qua­lité et aux dif­fi­cul­tés de faire tour­ner de telles struc­tures. Il pré­sente une his­toire attrayante, une plon­gée dans un uni­vers dif­fé­rent avec les divers rouages qui concourent à la réa­li­sa­tion de ces œuvres qui font rêver, qui pro­jettent dans des atmo­sphères et des domaines dépay­sants. Il mêle avec aisance sen­ti­ments et émo­tions.
Le des­sin de Fré­dé­ric Blier s’accorde à mer­veille à cet uni­vers de salles obs­cures. Il joue avec brio entre ombre et lumière pour une mise en images des plus réus­sies, réa­li­sant une gale­rie de per­son­nages très étu­diée, gra­phi­que­ment élé­gante. Les plus atten­tifs pour­ront tra­quer, dans les dif­fé­rents publics, quelques visages, des figures qui ont compté pour le cinéma comme Jacques Tati et sa pipe et bien d’autres.

Ce pre­mier volume est une belle réus­site tant pour son scé­na­rio des plus plai­sants que pour un des­sin et une mise en cou­leurs de grande qua­lité. De plus, il inclut un cahier de huit pages sur l’histoire du cinéma réa­lisé avec l’Institut Lumière de Lyon.

serge per­raud

Laurent Galan­don (scé­na­rio), Fré­dé­ric Blier (des­sin) & Sébas­tien Bouet (cou­leurs), La parole du muet - t. 1 : “Le géant et l’effeuilleuse”, Bam­boo, coll. Grand Angle, avril 2016, 56 p. — 13,90 €.

 

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