Anne Capestan, la très brillante commissaire, a tiré la balle de trop. Elle est sur la touche depuis six mois quand Buron, le Directeur régional de la Police judiciaire la convoque. Dans le cadre de la restructuration des services, il crée une brigade annexe où tout ce qui encombre les services, ces fonctionnaires qui ne peuvent pas être virés, sera affecté : les alcoolos, les flemmards, les dépressifs… Anne doit en prendre le commandement. Elle aura à traiter toutes les affaires non résolues jusqu’ici. Ainsi, les autres sections pourront afficher 100% de réussite et elle… zéro !
Potentiellement, l’effectif est de quarante policiers, mais à l’ouverture, ils ne sont que trois : le commandant Louis-Baptiste Le breton ex de l’IGS, la capitaine Eva Rosière et le lieutenant José Torrez. Le premier est veuf de son compagnon et c’est lui qui a enquêté contre Anne, la seconde mène une carrière littéraire prestigieuse mais vient de réintégrer la police. Le troisième est le “chat noir”, celui qui porte malheur et dont personne ne veut comme équipier. On leur attribue un local anonyme équipé de matériels disparates et vieillots, de véhicules très usagés.
Fouillant dans la multitude des dossiers attribués, le petit groupe en sélectionne deux : une vielle dame étranglée pendant un cambriolage, une affaire de 2005, et le meurtre d’un marin tué par balle. Anne qui n’est pas superstitieuse fait équipe avec Torrez. Commence alors une saga pour ces quatre policiers qui seront rejoint par quelques éléments et qui vont, coûte que coûte, faire leur travail jusqu’à…
Sophie Hénaff part d’un constat fréquent. Dans chaque structure sociale, qu’elle soit professionnelle ou privée, il y a des membres qui, pour de multiples raisons plus ou moins volontaires ou souhaitées, ont des difficultés à suivre la vie du groupe. Certes, la “placardisation” de ces individus existe et certains services ne semblent pas avoir d’autre objet que d’occuper de telles personnes.
L’idée de créer un service spécialement conçu pour abriter ces individus, ces gêneurs, de leur confier toutes les affaires non résolues paraît un tantinet cynique. Mais, quand la survie d’une structure en dépend, quand il faut satisfaire à la politique inepte du chiffre, du rendement à tout prix… La romancière prend, cependant, pour animer la brigade des déchus, un élément brillant victime d’une surdose de stress face à la misère à laquelle elle était constamment confrontée.
L’auteure imagine une base d’histoire pleine de ressources et riche en potentialités d’intrigues, en situations décalées, drolatiques, qu’elle peuple avec une galerie de personnages singuliers. Elle exploite avec brio ce potentiel, proposant des intrigues imbriquées, se recoupant pour un final brillant. On peut trouver une morale à cette comédie car Hénaff prend le soin de donner à ses “poulets grillés” des compétences mises en sommeil par un accident de la vie et prouve qu’il reste toujours, dans chaque individu cabossé, une part positive qui demande à se révéler.
La romancière prend également le parti de l’humour avec des comportements atypiques, des situations décalées, des péripéties et des dialogues percutants. Toutefois, ces aspects amusants ne cachent pas une histoire fort bien construite, une intrigue menée de façon alerte et une galerie de personnages attractifs qui font de ce roman un excellent moment de détente.
serge perraud
Sophie Hénaff, Poulets grillés, Livre de Poche n° 34116, avril 2016, 336 p. – 7,30 €.