D’une actualité confondante !
1531. Hans Stalhoffer, le Maître d’armes de François Ier, remet sa charge en jeu. Il accepte que le comte de Maleztraza, son adversaire, brandisse une arme qui est une fourberie. Le duel est sans vainqueur, les deux combattants se blessant grièvement. Cependant, Hans fait remettre par Gauvin de Brême, le chirurgien du roi qui le soigne, les possessions attenantes à sa charge. Le comte, qui veut une nette victoire, est furieux.
Quatre ans plus tard, Gauvin fuit de Paris avec la Bible qu’il a traduite en vulgaire. La Sorbonne, qui s’oppose à cette diffusion de la Parole du Seigneur, a chargé Maleztraza de l’arrêter. Hans, réfugié dans le Jura, subsiste en collectant la Dime pour l’Église auprès des « mauvais » payeurs.
Accompagné d’un apprenti, Gauvin vient lui demander de l’aider à rejoindre Genève où l’attend l’imprimeur. Celui-ci refuse à cause du choix de l’itinéraire et du mauvais temps qui arrive. Gauvin et son novice repartent. Hans les suit discrètement et intervient quand ils rencontrent des chasseurs menaçants qui les convient, cependant, à les suivre. Ils arrivent dans une étrange communauté, dirigée par un géant noir, qui reconstruit la chapelle de Sainte Agathe, leur vierge noire, détruite par la foudre. Ils sont papistes jusqu’au bout des ongles. Gauvin ne peut supporter d’entendre dénier la qualité d’humain aux Huguenots dont il a fait siens les percepts. La tension croît encore quand surgit Maleztraza qui s’empare des trois hommes pour les emmener à Paris où les maîtres de la Sorbonne veulent les condamner au bûcher…
Xavier Dorison plante son intrigue au début du XVIe siècle, une période qui a vécu une mutation, une désorganisation considérable. Une poignée d’hommes s’est élevée, alors, pour remettre en cause les dogmes de l’Église romaine qui font office de lois, une situation millénaire, un mode de pensée unique sur lequel un petit nombre d’individus fonde une pseudo légitimité pour asservir le reste de la population. C’est au sein même de cette Église que des penseurs présentent une vision différente, proposent de donner à l’Homme la place qui lui revient par rapport à Dieu. Mais, hérésie suprême, ils ne veulent plus d’un clergé intermédiaire entre le divin et les croyants. Mieux encore, ces hommes veulent offrir au plus grand nombre la Parole Divine en traduisant en français des textes écrits en grecs et en latin, accessibles donc qu’à des initiés.
Les Européens vont se diviser, se déchirer, entrer dans une guerre civile d’une cruauté sans pareil où le sang va couler au nom d’un Dieu de miséricorde et de bonté. C’est dans le cadre de ces combats que le scénariste met en scène son récit servi par une galerie de personnages d’une grande beauté, aux profils approfondis où la férocité le dispute à la brutalité tant des hommes que de la nature. S’appuyant sur le passé, Xavier Dorison livre un récit d’une confondante modernité alliée à une traque haletante.
Joël Parnotte met en image cette traque, ce parcours avec son talent habituel. Il n’hésite pas à dessiner des scènes particulièrement violentes, sanglantes, cruelles, tout à fait à l’image de la réalité. Il fait ressortir, avec une mise en couleurs appropriée, l’ambiance hivernale, le froid, la nature qui semble se liguer également contre les fugitifs. Il réalise un travail graphique approfondi sur la mise en scène, sur la mise en page variant avec opportunité les grands plans et les plans rapprochés sur les visages, pour une expressivité remarquable de ses personnages. Les scènes des nombreux combats sont superbement menées. Les auteurs se sont assurés les conseils de Lutz Horvath, un spécialiste en arts martiaux historiques européens.
Le Maître d’armes signe une réussite de plus de ces deux créateurs dans la pleine maîtrise de leur art.
serge perraud
Xavier Dorison (scénario) & Joël Parnotte (dessin et couleurs), Le Maître d’Armes, Dargaud, octobre 2015, 96 p. – 16,45 €.