Quel regard poser sur Charles X ?
La question est redoutable. Dernier des rois de la dynastie de Bourbon, frivole comte d’Artois, chef du courant ultra-royaliste sous le règne de son frère Louis XVIII, roi chassé par la révolution de 1830 : les critiques ne manquent pas à l’encontre de Charles X. C’est la raison pour laquelle une biographie peut facilement tomber soit dans l’hagiographie (elles sont quand même rares…) soit dans le procès à charge par un historien transformé en procureur. Dans quelle catégorie placer celle écrite par Jean-Paul Clément, avec le concours de Daniel de Montplaisir ? L’introduction donne l’impression d’un auteur qui épouse la cause de son personnage. Or, il n’en est rien.
En effet, le portrait peint par l’auteur est tout en nuances et sait distinguer avec une objectivité précieuse les indéniables qualités de ce souverain et ses défauts qui ont tant pesé sur sa vie, son règne et sur l’histoire de notre pays. Jean-Paul Clément décrit sans complaisance la jeunesse superficielle du beau prince de Versailles, son hostilité viscérale aux mouvements révolutionnaires de 1789, son exil précoce à travers l’Europe et ses faiblesses politiques. Les insurgés chouans l’attendent et il ne vient pas. Même si le gouvernement anglais a sa part de responsabilité dans cet échec, l’absence du comte d’Artois au milieu de son peuple révolté contre la révolution a pesé lourdement. C’est une faute pour un prince.
Le tournant décisif de sa vie se situe dans sa brutale et très touchante conversion religieuse suite à la mort de sa maîtresse, la comtesse de Polastron. Le prince futile se transforme alors en un homme pieux et dévot, fidèle à la mémoire de la femme aimée et aux commandements de Dieu. Puis, en 1814, il sait faire preuve d’initiative pour rendre le trône à son frère face à des Alliés sceptiques.
La Restauration en fait l’héritier de la couronne et le chef du parti ultra-royaliste, hostile aux compromis voulus par Louis XVIII entre l’héritage révolutionnaire et celui de l’ancienne monarchie. Et c’est là que tout déraille. Certes, Artois est cohérent avec lui-même et avec ses convictions, on ne peut le lui reprocher. D’ailleurs, comme l’auteur le montre très bien, il n’a jamais été dans ses intentions de restaurer l’absolutisme. De plus, Charles X ne peut être tenu comme responsable de tout. Ainsi Jean-Paul Clément montre-t-il que, lorsque le nouveau souverain décide de se faire sacrer à Reims, il ne fait que reprendre le projet de Louis XVIII. Mais c’est justement parce que le vieux roi l’avait abandonné que le sacre apparaît comme un signe de réaction politique, ce qu’il n’était pas.
Notons aussi que le règne de Charles X compte plusieurs succès, ce qui permet de rappeler que la Restauration fut bénéfique à la France. Le pays renoue avec la paix et redevient une grande puissance au sein du concert européen, loin des ambitions démesurées et de la guerre perpétuelle de la Révolution et de l’Empire ; cette même paix favorise le commerce et la prospérité ; et la biographie révèle un aspect méconnu de la personnalité de Charles X : son mécénat actif. On ne peut donc qualifier son règne d’échec.
Mais alors, qui est responsable de cet incroyable gâchis qu’est la chute de 1830 ? Jean-Paul Clément n’atténue en rien la responsabilité de Charles X. La révolution de juillet est l’aboutissement d’une série d’erreurs aussi incroyables que pathétiques, ouverte par la nomination du prince de Polignac, dont le nom même aurait dû le maintenir loin des affaires. Les ordonnances portent la signature du roi. Il en est donc le seul responsable. Mais sa faute la plus grave se situe à mon avis dans une phrase qu’on lui prête : « J’aimerais mieux scier du bois que d’être roi aux conditions des rois d’Angleterre. » Mots terribles. Refus dramatique d’une monarchie parlementaire dans laquelle le monarque, régnant sans gouverner, échappe aux passions politiques. Aveuglément qui coûta à Charles X sa couronne, à la France sa monarchie traditionnelle, aux Français la stabilité politique. Une fois en exil, il ne fait rien pour soutenir la cause de ses partisans, se contentant de transmettre à son petit-fils ses principes politiques… Avec les conséquences que l’on connaît… Le dernier Bourbon a été un piètre politique, inutile de le nier.
Cela dit, Charles X fait face à une réalité française terrible et qui joue sans doute un rôle majeur dans l’échec de la Restauration. La France est en effet un pays de l’Absolu. Sa monarchie l’a été en concentrant les pouvoirs entre les mains du souverain au détriment des corps représentatifs. Sa révolution et le système républicain le sont eux aussi et de la même manière. Les compromis, sur lesquels reposent la Restauration et la monarchie constitutionnelle, s’avèrent donc difficiles face à de telles passions.
Terminons le compte-rendu de cette remarquable biographie sur une note positive. Charles X incarne par sa personne, sa politesse, son charme et son élégance les beautés de la France du XVIIIe siècle, anéanties par la Révolution. Il porte en lui cet amour de son peuple qui lui a interdit d’écraser dans le sang l’insurrection qui le chasse du pouvoir. La république, ni en juin 1848, ni en mai 1871, n’aura de tels scrupules.
frederic le moal
Jean-Paul Clément (avec le concours de Daniel de Montplaisir), Charles X. Le dernier Bourbon, Perrin, septembre 2015, 565 p. — 26,00 €.