L’occasion ratée qui ne revint jamais
La Restauration, tentative avortée de retour des Bourbons sur le trône de France, constitue une des périodes les plus cruciales de l’histoire politique et constitutionnelle de notre pays. On se félicite donc de la réunion, au sein d’un unique ouvrage, de différents textes qu’Emmanuel de Waresquiel a consacrés à cette expérience politique. A travers ces pages toujours écrites avec la même élégance, l’auteur en trace les grandes lignes, depuis les années formatrices de l’exil de Louis XVIII jusqu’à la révolution de 1830, sans omettre de se pencher dans une seconde partie à des études thématiques très riches et stimulantes.
De très fins portraits nous permettent de cerner la personnalité des principaux acteurs de la Restauration : Louis XVIII, le roi impotent et habile politique qui sut trouver une position entre ce qui n’était pas négociable à ses yeux et ce qui l’était avec l’héritage de la Révolution, et dont les certitudes, l’obstination et la patience ne sont pas sans rappeler celles du général de Gaulle face aux Alliés ; son frère et successeur Charles X, « modèle de grâce et de vertus » mais trop sentimental peut-être pour être un bon politique ; le duc de Richelieu, incarnation des vertus de l’aristocrate du XVIIIe siècle, détaché de tout et de tous, qui obtient la libération du territoire ; et puis tous les autres, Chateaubriand « le chantre triste de la Restauration », les chefs politiques peu connus du grand public comme Decazes, Villèle et Vitrolles.
Ces analyses psychologiques donnent au récit un aspect très vivant et nous rappellent que ce sont les hommes, avec leurs qualités et leurs manques, qui font l’histoire. Ceux de la Restauration ont échoué dans une œuvre pourtant capitale qui leur commandait de réussir ce qui avait raté en 1789–1791 : l’établissement d’une monarchie parlementaire à l’anglaise, dans laquelle le roi règne sans gouverner. Pourtant – et c’est tout le paradoxe bien mis en lumière par Emmanuel de Waresquiel –, c’est au début du nouveau régime, quand la Chambre dominée par les ultra-royalistes contre la volonté du souverain, tente de gouverner que les pratiques parlementaires s’enracinent en France !
Les hommes de la Restauration auraient-ils pu réussir, et ainsi stabiliser le pays pour lui éviter les déchirements sanglants du XIXe siècle ? Ils portaient, reconnaissons-le, le poids de deux héritages très lourds et liés l’un à l’autre : l’absolutisme et la Révolution ; tous deux ligués pour repousser les solutions de compromis sur lesquelles la Restauration pouvait se construire.
Une terrible occasion manquée. On sort de ce ravissant livre avec un brin de tristesse sur ce qui aurait pu être réalisé.
Lire un extrait
fredric le moal
Emmanuel de Waresquiel, C’est la révolution qui continue ! La Restauration, 1814–1830, Tallandier, octobre 2015, 429 p. — 23,80 €.