Les études sur Hitler sont innombrables. Celles sur son entourage le sont beaucoup moins. Profitons donc du très beau livre de Jean-Paul Bled pour plonger dans les méandres du système nazi au plus haut sommet. Cette étude ne se contente pas de tracer, avec le style élégant de l’auteur, vingt-trois portraits des hiérarques nazis. Il entraîne le lecteur dans l’entourage du Führer et lui permet d’en saisir le fonctionnement. Certes, le dictateur ne constitue pas une cour autour de lui, pas plus qu’il ne passe ses soirées dans les beuveries abominables auxquelles son compère soviétique s’adonne avec ses hommes de main. C’est une situation tout à fait particulière que celle du IIIe Reich.
Jean-Paul Bled répartit les personnages en fonction de leur position par rapport au dictateur : les idiots utiles (c’est-à-dire ceux qui ont favorisé son ascension au pouvoir croyant manipuler un homme qui s’avèrera un fauve politique redoutable), les membres du premier cercle, les civils, les militaires, les éliminés et aussi les artistes (Heinrich Hoffmann et Leni Riefenstahl) qu’on a trop tendance à oublier.
Plusieurs points ressortent de ces passionnants portraits. Tout d’abord, l’art de la manipulation et de la séduction que possède Hitler, et qui s’exprime aussi bien auprès de ses alliés politiques que sur ces fidèles dont la plupart le suivirent jusqu’au bout, jusqu’à la mort, jusqu’à la potence sans jamais le renier. Ensuite, la capacité du Führer à jouer des rivalités, à ne jamais trancher dans les innombrables conflits opposant son entourage, à donner du pouvoir à l’un avant d’en faire bénéficier un autre. Enfin, les différences d’attitude chez ces hommes en fait très différents dans leur parcours, leurs positions, leur idéologie. Qu’y-a-t-il de commun entre un général Blomberg qui s’opposa au projet radical exprimé par Hitler en 1937 et un Keitel obéissant en tout, sans parler du fat Ribbentrop, courtisan qui se crut nouveau Bismarck ? Pas grand-chose en vérité. Mais tous servent Hitler et participent à l’édification de son pouvoir.
La puissance de la domination hitlérienne repose donc sur un curieux système fait d’individus qui se haïssaient, se méprisaient et se combattaient pour mieux attirer les faveurs du Maître ; et ce, pour le plus grand bénéfice de celui-ci. Ce livre, qui se lit avec un grand plaisir, le démontre.
frederic le moal
Jean-Paul Bled, Les hommes d’Hitler, Perrin, août 2015, 506 p. — 24,90 €.