Parce que le coursier est en retard, c’est la maman de Louise, employée chez un joaillier de la place Vendôme, qui livre l’épingle de chignon de la duchesse au Bazar de la Charité. Mais le bâtiment s’embrase et cent quarante-neuf personnes périssent dans l’incendie. M. Morchard, responsable de l’atelier, et veuf, prend en charge la petite Louise âgée de huit ans. Dix ans plus tard, en janvier 1910, la jeune fille travaille dans l’atelier de son père adoptif. Elle excuse l’attitude de Valentin, un apprenti un peu fantaisiste que Morchard a embauché par amitié pour son frère avec qui il a servi en Afrique du Nord.
Il pleut très fort et, pour rentrer chez elle à Montreuil dans la maison héritée de sa mère, Louise n’est pas équipée. Son père lui donne un ticket de métro de première classe. Dans la rame, ses vêtements simples interpellent le contrôleur qui l’accuse d’avoir volé le ticket. Elle est défendue par un homme en frac qui se présente comme une personnalité bien qu’il soit pianiste au Moulin Rouge.
Valentin retrouve son frère qui travaille comme graveur à la Monnaie de Paris. Rémusat, dit Le Fennec, un apache, qui connait bien le graveur pour avoir été sous ses ordres à l’armée, les rejoint. Son discours sur sa liberté séduit Valentin qui suit le voyou en sortant. Celui-ci, pour ne pas mouiller ses chaussures, arrête un automobiliste en le menaçant d’un couteau et invite Valentin à monter. Il lui donne l’arme pour tenir en respect le bourgeois. Un coup de frein brusque, donné volontairement, égorge l’homme. Valentin, à son corps défendant, est devenu un chourineur.
Louise se trouve entraînée, sur le pas du pianiste, jusqu’au Moulin Rouge…
Patrice Ordas, qui place son récit dans Paris en janvier 1910, conjugue la catastrophique crue qui a envahi la Capitale avec un casse brutal, l’ambiance de la ville, les “exploits” d’apaches et la prostitution. Il construit une intrigue autour de la joaillerie, avec toutes les convoitises que celle-ci peut susciter. C’est un secteur que le scénariste connaît bien ayant, pendant vingt-cinq ans, assuré la direction de l’école de joaillerie de Paris. Pour faire vivre son récit, il conçoit une galerie de personnages dont beaucoup sont liés par des relations nouées dans l’armée quand la France étouffait les révoltes de ses colonies.
Ordasl articule son histoire autour de deux jeunes héros qui vont se trouver emportés dans des milieux bien différents de ceux qu’ils ont l’habitude de fréquenter et que le scénariste va s’attacher à faire découvrir. C’est ainsi qu’il les projette dans deux facettes du monde de la nuit, celle des voyous et leurs minables combines, celle du spectacle avec la découverte des coulisses du Moulin Rouge, ce fameux cabaret qui continue de faire les « beaux jours » des noctambules.
Nathalie Berr assure un dessin soigné, élégant, d’une grande finesse. Elle propose des portraits très expressifs, une mise en images, tant pour les intervenants que pour les décors et accessoires, d’une grande beauté. La qualité du dessin est renforcée par la mise en couleurs signée de Sébastien Bouet qui restitue à merveille l’ambiance de l’histoire.
Ce premier volet du diptyque, très attractif, laisse augurer d’une suite prometteuse.
serge perraud
Patrice Ordas (scénario), Nathalie Berr (dessins), Sébastien Bouet (couleurs), Les Naufragés du Métropolitain, t.1 : “Les Rats de saint-Éloi”, Bamboo, coll. “Grand Angle”, mai 2015, 48 p. – 13,90 €.