Un monument de virtuosité et d’humour
Réunissant un romancier de polars de troisième zone (comme dit Elsie) et son agent littéraire, L.C. Tyler — à qui l’on doit l’Étrange suicide dans une Fiat rouge à faible kilométrage - joue sur de nombreux registres romanesques, tant policiers qu’humoristiques. Dans ce roman, en réunissant dans un lieu isolé, dix personnes, il conjugue les principes du Cluedo, le meurtre en chambre close, l’esprit de Dix petits nègres (célèbre roman d’Agatha Christie), un polar historique en cours d’écriture, un couple atypique et la narration de deux protagonistes aux points de vue fort différents, bien sûr.
Le meurtre commis, chaque survivant du petit groupe possède un bon mobile et s’est trouvé en situation pour assassiner son hôte. Or, ce meurtre a été exécuté dans une pièce si close qu’il a fallu briser une fenêtre pour y pénétrer. Le romancier prend alors un plaisir évident à brouiller les pistes, à multiplier les possibilités pour les enquêteurs. Il introduit, au fil des pages, un inconnu en costume bleu, l’existence d’un couloir dissimulé, un jardinier à la façon de Lady Chatterley.… Parallèlement, il conçoit une superbe galerie de tueurs potentiels et brosse du défunt un portrait qui se révèle étonnant.
Ethelred Tressider et Elsie Thirkettle, son agent, sont chez le romancier. Ils disputent une partie de Cluedo, où elle triche sans vergogne, avant de se rendre au diner organisé par Sir Robert et Lady Annabelle Muntham de Muntham Court. Ethelred et Robert, qui ne s’étaient pas revus depuis la fac, se sont rencontrés il y a quelques mois à Findon. Ce dernier était connu, alors, sous le surnom de Chaud-Lapin. Robert travaillait dans la banque et il a pris sa retraite. Les deux hommes se voient régulièrement. Sur place, ils sont rejoints par le notaire de Rob, et son épouse, un couple de médecins, un ancien collègue de la banque, une romancière à succès, refusée à ses débuts par Elsie. Au cours du repas, copieusement arrosé, Rob s’excuse et s’absente. Annabelle paraît aussi surprise que ses invités. Son absence se prolongeant, les dîneurs partent à sa recherche, laissant Elsie et Ethelred seuls dans la grande salle à manger. Annabelle, très inquiète, revient chercher Ethelred et l’entraîne à l’extérieur pour rentrer par une fenêtre en cassant une vitre, car Rob est enfermé dans la bibliothèque. Ils découvrent alors qu’il a été étranglé avec une cordelette serrée avec un crayon.
Comme le meurtre semble impossible, la police conclut à un suicide. Le lendemain, Ethelred reçoit une lettre de son ami où celui-ci l’engage dans un jeu de piste en cas d’issue fatale. Comment et pourquoi Chaud-Lapin a-t-il été assassiné ? Le couple de détectives se met en chasse de la vérité et va aller de surprise en surprise jusqu’à…
L.C. Tyler se livre à un exercice romanesque de haute volée. Reprend les sujets les plus classiques du genre, il les présente et les agence de telle manière, avec une telle virtuosité, qu’il leur donne un aspect très novateur. Il fait montre d’un humour ravageur, s’appuyant sur les caractères opposés de ses héros, faisant décrire, par chacun, la même situation, selon leur jugement et leurs points de vue. Parallèlement, il introduit une troisième version des faits avec un roman en cours d’écriture qui s’inspire, bien sûr, des événements vécus par l’auteur, mêlant des éléments des deux intrigues, l’une nourrissant l’autre. L’auteur, s’il ponctue ses descriptions d’images étonnantes mais d’un grand bon sens, dresse en revanche un portrait peu glorifiant de l’écrivain de polars
Attention, sous le ton badin, léger, L.C. Tyler construit une énigme sophistiquée dans la meilleure tradition du Whodunit. Les véritables moments de lecture-plaisir sont à prendre quand ils se présentent. Avec ce roman, le but est atteint !
serge perraud
L. C. Tyler, Mort mystérieuse d’un respectable banquier anglais dans la bibliothèque d’un manoir Tudor du Sussex (The Herring in the Library) traduit de l’anglais par Élodie Leplat, Sonatine Editions, juin 2015, 304 p. – 19,00 €.