Michel Bussi, Maman a tort

Atten­tion, fort dan­ger d’addiction !

Les intrigues qui se basent sur une mémoire défaillante sont cou­rantes. Construire une his­toire sur la pré­ca­rité d’une mémoire d’enfant est, par contre, excep­tion­nel. C’est pour­tant le défi que se lance Michel Bussi, à qui l’on doit le déjà remar­qué N’oublier jamais : orga­ni­ser un thril­ler autour de la mémoire éphé­mère d’un gar­çon­net de trois ans et demi. Par­tant du constat scien­ti­fique qu’à cet âge la mémoire est une pâte à mode­ler dont les adultes peuvent faire ce qu’ils veulent, il ima­gine : ” …tout ce que me raconte ce gar­çon me donne l’impression que des indices ont été déli­bé­ré­ment pla­cés dans son cer­veau, comme des balises, des sortes de repères pour qu’il les mobi­lise au bon moment.” Avec cette assise, il déve­loppe un uni­vers intro­dui­sant la traque de bra­queurs et quelques intrigues secon­daires tout aussi passionnantes.

Alors qu’une femme, accom­pa­gné d’un jeune enfant, accom­plit les for­ma­li­tés d’embarquement à l’aéroport du Havre, Marianne Augresse, la com­man­dante de police, com­prend un pro­blème capi­tal tout en lisant trois petits mots sur une peluche, un dou­dou que son adjoint vient de trou­ver. Quatre jours aupa­ra­vant, le bra­queur blessé à Deau­ville neuf mois plus tôt, a été repéré dans un quar­tier du Havre. Toute l’équipe de Marianne est mobi­li­sée. C’est à ce moment qu’elle est contac­tée par Vasile Dra­gon­man, un psy­cho­logue sco­laire, qui se recom­mande d’Angie, l’amie de la com­man­dante. Il s’occupe de Malone, un enfant pré­coce, sur­doué, qui affirme que sa mère n’est pas sa mère. Contre toute logique, il le croit. Il cherche une aide rapide. Marianne ne com­prend pas l’urgence de la demande, mais accepte de le rece­voir. Elle a trente-neuf ans, céli­ba­taire, et vou­drait un enfant.
Malone a un dou­dou nommé Gouti, un étrange ani­mal avec qui il échange, qui lui raconte des his­toires et l’aide à se sou­ve­nir de sa vraie maman. Paral­lè­le­ment, la traque conti­nue avec bien des décon­ve­nues pour les poli­ciers. Vasile se fait de plus en plus pres­sant. Il essaie de situer les lieux décrits par l’enfant : la fusée, la forêt des ogres, les pirates et leur bateau…, des sou­ve­nirs qui vont s’effilocher et dis­pa­raître pour être rem­placé par d’autres. Et la situa­tion évo­lue dans un compte à rebours diabolique…

Le roman­cier uti­lise les élé­ments du quo­ti­dien, des situa­tions et des péri­pé­ties ordi­naires et s’en sert avec brio comme élé­ments de sus­pense, source de ten­sion. Il crée, pour son his­toire, une gale­rie de per­son­nages d’une grande richesse, tant dans leurs réac­tions que dans leurs com­por­te­ments. Il nour­rit les por­traits de ses pro­ta­go­nistes de ces mille petits riens qui fondent une per­son­na­lité. Il construit, ainsi, des figures authen­tiques, d’une grande pro­fon­deur, bâties avec un soin méti­cu­leux. Il les décrit avec un réa­lisme confon­dant, au point qu’on a le sen­ti­ment, à cer­tains moments, de lire des témoi­gnages authen­tiques et non une fic­tion.
Michel Bussi offre un roman remar­qua­ble­ment docu­menté, une étude presque exhaus­tive sur le fonc­tion­ne­ment de la mémoire, sur les sou­ve­nirs, leur per­ti­nence et leur réa­lité. La construc­tion est tota­le­ment maî­tri­sée, jusqu’à un final éblouis­sant. Il fait montre d’un humour sub­til (les noms de ses per­son­nages, par exemple) qu’il dis­tille au long de son récit, un récit émaillé de remarques amu­santes ou graves sur la société où évo­luent ses personnages.

Une fois encore, Michel Bussi se livre à une magni­fique entour­loupe, “roule” son lec­teur dans la farine, car il pro­gresse dans l’art d’illusionner, de dis­si­mu­ler. Il est le maître incon­tes­table, et incon­testé, dans l’utilisation du plus vieux truc du monde qui consiste à oppo­ser une vérité à une autre. Il glisse des indices qui laissent à pen­ser… qu’on a tout faux quand on arrive à la conclu­sion. Quelle que soit l’idée qu’il retient, cet écri­vain à l’immense talent, la magni­fie. Il prouve, une fois encore son don de la mani­pu­la­tion, dans le sens noble du terme, jouant avec les appa­rences, les zones d’ombre, et bien sûr, le passé, les liens qui se nouent, les che­mins sui­vis par cha­cun jusqu’à un car­re­four où tout bas­cule. Car, écrit-il : “Il ne se passe pas une vie sans que souffle la tem­pête et que tout soit à recom­men­cer.“
Maman a tort est un roman qui frôle le chef-d’œuvre.

Lire les 1ères pages

serge per­raud

Michel Bussi, Maman a tort, Presses de la Cité, mai 2015, 512 p. – 21,50 €.

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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