Emmanuel de Waresquiel, Fouché. Les silences de la pieuvre

L’effrayant ministre de la Police

Osons le dire ! Lire Emma­nuel de Wares­quiel est un plai­sir. Même quand il écrit une bio­gra­phie d’un per­son­nage effrayant : Joseph Fou­ché, le célèbre ministre de la Police de Napoléon.De son éru­di­tion, de la richesse de ses sources et de son magni­fique fran­çais, Emma­nuel de Wares­quiel tire un tra­vail remar­quable et trace un por­trait sans doute au plus juste de son per­son­nage.
On entre dans cet épais ouvrage avec une image, celle du Fou­ché oppor­tu­niste, ayant servi suc­ces­si­ve­ment la Révo­lu­tion, le Direc­toire, l’Empire, la Res­tau­ra­tion. Le com­plice de Tal­ley­rand en for­fai­ture en quelque sorte… On en sort avec une autre, bien plus conforme à la réa­lité de cet homme secret ; une image à deux reflets.
Le pre­mier ren­voie à la grande cohé­rence qui a carac­té­risé Fou­ché pen­dant toute sa car­rière poli­tique. Il est jusqu’à la fin – y com­pris quand les hon­neurs et les titres ali­mentent sa vanité – un défen­seur de la Révo­lu­tion et de ses prin­cipes. Il l’a été lors des ter­ribles années. Et la des­crip­tion qu’en fait Emma­nuel de Wares­quiel glace d’effroi : déchris­tia­ni­sa­teur for­cené, mas­sa­creur, idéo­logue qui croit en ce qu’il dit. Mais il l’est resté sous l’Empire parce qu’il a vu en Bonaparte/Napoléon ce que le Corse était : le conti­nua­teur de la Révo­lu­tion, le garant de 1789. Ses efforts entre 1814 et 1815 pour en pré­ser­ver les acquis face à la volonté de revanche des Bour­bons et de leurs fidèles en four­nissent une autre preuve. La simple des­crip­tion de son entou­rage, consti­tué des hommes ren­con­trés lors de la grande tour­mente, confirme aussi sa fidé­lité aux idéaux de sa jeunesse.

 Le second reflet nous éclaire sur sa soif inex­tin­guible de pou­voir. Car il a aimé l’exercice du pou­voir, avec pas­sion, délec­ta­tion, comme une drogue dont il ne peut se pas­ser, depuis ses mis­sions à Nantes et à Lyon et jusqu’à sa chute. Les rares périodes où il doit l’abandonner lui pèsent. La der­nière lui sera d’ailleurs fatale au vrai sens du terme. L’ouvrage confirme la puis­sance de ce ministre de la Police, homme de dos­siers et de fiches – qu’il a tou­jours pris soin de détruire – , rusé, habile, sachant se rendre indis­pen­sable et se faire appré­cier de tous, y com­pris des aris­to­crates du fau­bourg Saint-Germain…
C’est aussi un homme de réseaux dont les ori­gines se trouvent dans les Ora­to­riens ou les anciens amis de 1793. Un homme fidèle certes (époux et père aussi atten­tionné que sen­sible) mais froid comme la mort quand il gou­verne, et d’une effi­ca­cité redou­table pour fomen­ter des com­plots, retran­ché dans l’ombre, lais­sant agir les autres en pre­mière ligne. Ainsi n’ouvre-t-il pas la bouche le 9 ther­mi­dor alors qu’il est une des che­villes ouvrières de la chute de Robespierre.

 En fin de compte, un homme détes­table avec lequel le lec­teur prend un immense plai­sir à demeu­rer tout au long des pages du livre. Un para­doxe qui indique un excellent travail.

 frede­ric Le Moal

 Emma­nuel de Wares­quiel, Fou­ché. Les silences de la pieuvre, Tallandier/Fayard, sep­tembre 2014, 830 p., 29,90 €

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