Quand la sculpture met en danger
Florence est une des plus belles villes du monde par la richesse et la variété des arts qu’elle a su encourager. Rupert Thomson, avec ce roman, fait découvrir une autre facette de l’ambiance qui entourait cette création artistique.
Le récit débute quand Zummo, un vieil homme proche du trépas, obtient une entrevue avec Marguerite-Louise d’Orléans, la cousine de Louis XIV, au couvent de Montmartre. Il vient lui parler de sa fille cachée. Zummo a dû quitter Syracuse, sa ville natale, en 1675, sous la pression de son frère aîné. Après diverses tribulations, il arrive à Florence, invité par le grand– duc de Toscane qui a remarqué ses œuvres de sculpteur de cire. Ces œuvres sont bien particulières puisqu’il veut représenter le triomphe du temps sur l’homme.
Il s’installe son atelier dans le palais, prend pension à l’auberge et fait connaissance avec l’entourage du duc, son secrétaire, d’abord, puis des prêtres, des courtisans… Si le duc lui fait volontiers des confidences intimes, le cercle des intimes fait bonne figure mais, dans Florence, la fourberie est presque devenue un art de vivre. Et puis, le duc, accablé par ses déboires conjugaux, lui demande : “Je voudrais que vous fabriquiez une femme… en cire …un genre d’Ève.” Où trouver le modèle ? Il y a bien cette jeune fille, aperçue à travers la vitrine d’un apothicaire lors de la visite de la ville avec la fille de son hôtesse, et dont la grande beauté l’avait frappé. Commence, alors, pour Zummo, un parcours terrible dont il ne sait s’il le mènera à sa perte ou à son salut, mais où il doit se garder de tous, tout en découvrant le grand amour…
La cour des Médicis, à Florence, reste dans l’esprit du grand public comme un lieu où les arts étaient rois, avec les grands-ducs comme mécènes. Si l’auteur conserve cette réalité, il en montre une autre plus terrible, moins médiatisée. Il décrit une ville où la torture et les exécutions sont monnaie courante. Faisant parcourir à son héros cette Florence labyrinthique, enserrée dans ses murs, avec ses ruelles où les dangers et les secrets sont légions, il redonne une image plus juste de l’époque et de l’atmosphère qui régnait en ces lieux. En effet, la cité florentine et la Toscane sont sous la coupe d’un prince dévot qui impose l’austérité, une austérité dont s’affranchissent les plus nantis pour assouvir leurs vices. Le regard porté sur la Cour est à l’unisson, une situation qui est celle que l’on retrouve dans toutes les sphères où se joue le pouvoir.
Dans ce décor, Rupert Thomson développe une intrigue où se mêlent les passions les plus viles comme les plus belles, où les morts s’accumulent. Il fait générer une tension supplémentaire avec le danger que représente, pour Zummo, le risque de déplaire au grand-duc. Spécialiste de créations plutôt morbides comme les ravages de la peste sur les corps, il doit évoluer pour créer la beauté. Il lui faut donner à sa statue de cire toute la réalité, toutes les apparences de la vie. Et Thomson de détailler le travail du sculpteur, de faire participer le lecteur à ses recherches de la femme parfaite, tant humaine que sculptée, tout en présentant le cadre artistique dans lequel il évolue.
Autour de Zummo, évolue une série de personnages aussi vrais que nature, dans leurs différents comportements. Au premier rang, se placent le grand-duc et son épouse, ces figures historiques dont l’auteur dévoile les turpitudes. Avec Noces de cire, Rupert Thomson propose une intrigue finement agencée, dans un cadre historique prestigieux. Un excellent moment de lecture !
serge perraud
Rupert Thomson, Noces de cire (Secrecy), traduit de l’anglais par Sophie Aslanides, Denoël, coll. “Denoël & D’ailleurs”, septembre 2014, 400 p. – 22,50 €.