Massimo Carlotto, Le souffle court

Les nou­velles mafias affrontent le crime “traditionnel”

Les méthodes du crime évo­luent avec les nou­velles tech­no­lo­gies dans une société en muta­tion. Si la notion de ter­ri­toire phy­sique à se par­ta­ger reste encore la règle pour une cri­mi­na­lité de petite enver­gure, elle tombe en désué­tude avec l’émergence de cyber-voyous. Mas­simo Car­lotto, avec Le souffle court, le pre­mier volet d’une tri­lo­gie, se pro­pose de mettre en scène ces nou­velles mafias dans leurs œuvres. Une réussite !

Ils sont quatre à être sor­tis, diplô­més en éco­no­mie, d’une pres­ti­gieuse uni­ver­sité anglaise, quatre déci­dés à s’affranchir de leurs aînés et à prendre leur des­tin en main.
Zosim Kataev fait par­tie de l’Organizatsya, une mafia russe. Sunil Baner­jee est le seul reje­ton mâle d’une famille indienne qui gère une chaîne de res­tau­rants. Giu­seppe Cru­ciani dépend de la Camorra et Inez Thei­ler est la fille d’un ban­quier suisse.
Zosim orga­nise l’assassinat de son men­tor et de tous ses lieu­te­nants pour rejoindre les rangs du FSB (le nou­veau KGB) sous les ordres du colo­nel Vori­lov. Ulita, une lieu­te­nante, est son agent de liai­son et… sa maî­tresse. Giu­seppe s’est affran­chi de ses mafieux en les fai­sant jeter en pri­son tout en res­tant ano­nyme. Tous quatre, pen­dant leurs études, ont concocté un plan : “…si génial et fou qu’il valait la peine de tout jouer sur lui. Y com­pris sa vie.“
À Ciu­dad del Este, à la fron­tière vol­ca­nique entre le Para­guay, le Bré­sil et l’Argentine, Este­ban Gar­rin­cha, le second d’un par­rain local, a fait le mau­vais choix dans la déloyauté. Il est tra­qué par tous. Un boss de la mafia pau­liste, au Bré­sil, l’envoie à Mar­seille.
Ber­na­dette Bour­det est com­mis­saire. À la suite d’une enquête sur la “Clique Bré­mont”, elle s’est retrou­vée sur la touche. Avec trois ins­pec­teurs, au passé lourd et hasar­deux, elle mène un com­bat occulte, avec des méthodes peu ortho­doxes, contre les nar­co­tra­fi­quants dans la cité pho­céenne. Elle conserve tou­jours l’espoir de confondre le groupe mené par ce député.
Zosim, sur ordre, ne rejoint pas Zurich, comme prévu, mais Mar­seille. Ses amis le suivent et s’installent pour mettre en œuvre le plan génial qu’ils ont conçu…

Dans ce roman, Mas­simo Car­lotto brosse un tableau sai­sis­sant de quelques mafias qui œuvrent dans le monde. Il met en scène une intrigue où s’opposent un groupe de jeunes diplô­més qui veulent voler (c’est le cas de le dire !) de leurs propres ailes, et des anciens qu’ils consi­dèrent comme : “…des san­gui­naires tro­glo­dytes tatoués, dépas­sés par l’histoire.” Il prend pour décor la ville de Mar­seille et, dans ce cadre, il réunit et fait se croi­ser les par­cours d’un groupe de poli­ciers aty­piques, d’une cra­pule qui veut sur­vivre dans les Quar­tiers Nord et ces nou­veaux truands aux moyens finan­ciers presque sans limites.
Il esquisse les moyens mis en œuvre dans les affaires dou­teuses qui font la for­tune de cette nou­velle cri­mi­na­lité sans en don­ner le mode d’emploi. Cepen­dant, il four­nit suf­fi­sam­ment d’éléments pour per­mettre de sai­sir les méca­nismes et de suivre le che­mi­ne­ment. Outre les domaines bien connus comme le tra­fic d’organes, de métaux, la réuti­li­sa­tion des bois radio­ac­tifs de Tcher­no­byl pour des construc­tions en Europe et en France… il met en scène nombre des magouilles finan­cières acces­sibles aujourd’hui.
Paral­lè­le­ment, il uti­lise le ban­di­tisme plus “conser­va­teur”, celui des quar­tiers mar­seillais avec tra­fics de drogues et guerres des ter­ri­toires. Il com­plète ce pano­rama avec un qua­tuor auto­nome de poli­ciers ayant la béné­dic­tion des auto­ri­tés. Celles-ci, sans l’avouer publi­que­ment, admettent qu’on ne peut lut­ter contre des réseaux aussi struc­tu­rés avec des “enfants de cœur” dans un cadre où la légis­la­tion deve­nue si com­plexe offre tel­le­ment de recours à des avo­cats un peu talen­tueux, à défaut d’être scrupuleux.

Le récit prend en compte la col­lu­sion, l’écheveau touffu des liens entre ban­di­tisme et ser­vices secrets, finance natio­nale et inter­na­tio­nale, les ponts entre les mafias et la police, les rap­ports avec des mou­ve­ments indé­pen­dan­tistes. L’auteur livre un récit bru­tal, montre, avec un grand réa­lisme, des struc­tures com­plexes dans une intrigue constam­ment en ten­sion jusqu’à un final dan­tesque.
Avec une gale­rie de per­son­nages tous plus cor­rom­pus les uns que les autres, on cherche une rai­son d’espérer du genre humain. Tou­te­fois, dans tant de noir­ceur, Mas­simo Car­lotto offre quelques pous­sières de sen­ti­ments comme ceux d’une ami­tié solide, d’un amour sin­cère mais impos­sible, quelques gestes de bonté. Par­fai­te­ment docu­menté, écrit avec un style vif, son récit fait mouche et on a du mal à lâcher ce livre. L’auteur fait preuve d’une meilleure connais­sance de la pègre mar­seillaise que nombre de res­pon­sables au minis­tère de l’Intérieur.

Après ce roman remar­quable, on attend avec impa­tience les autres volets de cette tri­lo­gie qui s’annonce exceptionnelle.

serge per­raud

Mas­simo Car­lotto, Le souffle court, (Res­piro corto), tra­duit de l’italien par Serge Qua­drup­pani,  Métai­lié, coll. « Biblio­thèque ita­lienne – Noir », avril 2014, 204 p. – 17,50 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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