Le dernier Empereur de Chine
Les personnes ayant atteint un certain âge se souviennent d’avoir vu le film de Bernardo Bertolucci, Le dernier Empereur, bijou cinématographique relatant la vie de Pu Yi, ultime souverain de l’Empire du Milieu. Mais une œuvre d’art n’est pas une étude historique. Qu’en est-il de la véritable histoire de Pu Yi ? La biographie d’une grande spécialiste de la Chine, Danielle Elisseeff, apporte un certain nombre de clés pour comprendre ce destin fascinant qui avait de quoi inspirer un metteur en scène. La vie de Pu Yi est constamment replacée dans son contexte, ce qui permet au lecteur de bien saisir la trame d’évènements peu connus et fort complexes. La Chine traverse en effet une période de désordres et de violences pendant tout le premier XX° siècle, et le malheureux rejeton des Qing est comme une barque ballottée par des flots déchainés. Il naquit presque empereur et finit loyal citoyen de la République Populaire de Chine !
Le personnage tel que le décrit Danielle Elisseeff n’a rien de séduisant. Imbu de son personne – mais comment en serait-il autrement pour un individu devenu Fils du Ciel à trois ans ? – , peureux, vivant souvent hors de la réalité et surtout très influençable, il cherche à reconquérir le pouvoir après la chute de la monarchie et son expulsion de la Cité Interdite, devenant un jouet entre les mains des Japonais.
Le rôle des agents de l’Empire du Soleil Levant est très bien mis en lumière dans l’ouvrage. De ce point de vue, il apporte des éléments nouveaux très intéressants, grâce à des archives déclassifiées. Ainsi apprendra-t-on que le gouvernement de Tokyo est beaucoup plus prudent que les militaires japonais présents en Chine, que ce soit dans les évènements de 1931 et l’invasion de la Mandchourie, que sur la façon d’utiliser Pu Yi.
Quoi qu’il en soit, le fantoche empereur du Mandchoukouo ne cesse jamais d’être un pion sur l’échiquier japonais. Il est vrai que les républicains chinois, qui l’ont chassé de Pékin avant de saccager les tombes de ses ancêtres, n’ont rien pour lui plaire. Devenu le symbole de la collaboration avec l’ennemi de la Chine, il est arrêté par hasard par les Soviétiques. Lui évitant le sort des Romanov – les temps ont changé – et l’exécution au procès de Tokyo, ils le livrent à Mao qui lui impose un lavage de cerveau comme seuls les communistes asiatiques en ont le secret.
Un personnage guère sympathique en somme mais qui nous apprend beaucoup sur la Chine, son histoire et même son présent.
frederic le moal
Danielle Elisseeff, Pu Yi. Le dernier empereur de Chine, Perrin, mai 2014, 296 p. — 22,00 €.