Après Les Sept Morts d’Evelyn Hardcastle et L’Étrange Traversée du Saardam (Sonatine 2019 et 2022), Stuart Turton propose un nouveau roman. S’il fait évoluer son univers à chaque livre, il reste constant pour installer son cadre dans un huis clos total. Dans le premier, c’est un domaine que le héros ne doit pas quitter, où il doit naviguer entre différentes personnalités et est obligé de revivre des situations avec des approches différentes. Dans le second, c’est un bateau promis aux pires avanies. Avec Dernier meurtre au bout du monde, dans un futur dystopique, il s’agit d’une île cernée de toutes parts par de l’eau, bien sûr, mais surtout par un danger mortel.
Il y a quatre-vingt-dix ans, partout sur la planète, des gouffres énormes ont laissé échapper un étrange brouillard rempli d’insectes qui désintégraient tout. Personne n’a pu arrêter sa progression et l’humanité a disparu en un an. C’est Niema, la scientifique en chef de l’institut Blackheath, qui a appelé ceux qui le pouvaient à se réfugier sur une petite île grecque où elle a réussi à installer une barrière retenant ce brouillard. Depuis, après une période d’adaptation difficile, les cents vingt-deux habitants de l’île vivent en paix de la pêche et de l’élevage.
Niema, Thea et Hephaestus sont les seuls survivants des cent dix-sept scientifiques restés à bord. Ils vieillissent lentement les veines bourrées de médicaments. Les journées se déroulent selon un rituel immuable et une harmonie règne dans la petite communauté. Si personne ne se pose de questions, ce n’est pas le cas d’Emory, une pétulante jeune femme. Nombre d’éléments la troublent.
Niema travaille sur une mystérieuse expérience qui angoisse Thea. Emory surprend une conversation houleuse entre les deux scientifiques. Puis les événements se précipitent. C’est la catastrophe, il faut faire vite car il semble que la barrière n’est plus aussi infranchissable. Il reste cent sept heures avant la fin du monde…
Dès les premières pages, le mystère est présent. Il faut saisir la situation où se trouve les personnages, comprendre leur mode de vie, les rituels qui scandent leur journée et le rôle tenu par ces trois anciens, ces scientifiques qui semblent contrôler le destin de la population. Il va se passer des événements qui vont bousculer l’ordre établi. Il est question de l’expérience que souhaite mener Niema, expérience qui épouvante Thea qui regrette son laboratoire et ses possibilités de recherches. Et quelle expérience préparait Niema qui voulait offrir à l’humanité un avenir radieux, débarrassé de toutes les pulsions qui ont failli la détruire ? Cela n’a pas de prix, pense-t-elle.
Et il est question d’un meurtre qui va tout remettre en cause. Et quand celui-ci a lieu, c’est l’angoisse qui monte, l’affolement et l’émergence de psychoses. Le romancier sème des indices mais brouille les pistes en faisant s’interroger sur les véritables intentions de certains acteurs du drame, sur les buts poursuivis par d’autres.
C’est aussi l’introduction d’éléments fantastiques et de science-fiction comme ce mystérieux Abi qui sait tout ce qui se passe sur le territoire et qui connaît les pensées de chacun. Le travail sur les personnages, sur leur profil psychologique est superbe. Les principaux protagonistes ont des caractères construits avec soin, le romancier installant leurs motivations, leurs failles et leurs secrets. Il a l’art de jouer avec les véritables intentions de ses acteurs, intentions qu’il dissimule aux yeux des lecteurs.
Toutefois, au-delà de l’histoire passionnante de cette poignée d’humains, l’auteur aborde des questions primordiales quant à la nature humaine, le fonctionnement de la société, les rapports entre les individus, la responsabilité individuelle et collective. Il livre une belle parabole sur les espèces invasives qui détruisent systématiquement en l’absence de prédateurs, sur l’isolement prôné par des dirigeants ou futurs dirigeants de pays…
Avec ce nouveau livre, Stuart Turton offre une intrigue originale, servie par une galerie de personnages bien façonnés, mettant en tension un récit qui happe dès les premières pages.
serge perraud
Stuart Turton, Dernier meurtre au bout du monde (The Last Murder at the End of the World) traduit de l’anglais par Cindy Colin-Kapen, Sonatine Éditions, octobre 2024, 448 p. — 24,00 €.