Julien Hervieux & Éric Stalner, Albert Roche

Un héros bien oublié !

Les édi­tions Bam­boo pro­posent une nou­velle col­lec­tion consa­crée aux Héros de guerre. Elle débute avec Albert Roche, une place bien méri­tée au regard de son enga­ge­ment. Cepen­dant, cet homme, que rien ne des­ti­nait à vivre de tels évé­ne­ments, est bien oublié. C’est une belle occa­sion de le repla­cer là où il mérite d’être, à la place de pseudos-héros qui ont su faire mous­ser le peu qu’ils avaient fait.

Un sol­dat por­tant l’uniforme en cours lors du conflit de 1914–1918, court sur un ter­rain ravagé. Dans une tran­chée, der­rière lui, un autre sol­dat est aba­sourdi par l’audace du pre­mier. Celui-ci fait face à un nid de mitrailleurs alle­mands et se demande, cepen­dant, ce qu’il fait là. Il se revoit en 1913, dans la Drôme, à Réau­ville, dans la ferme de son père. Il regarde avec envie un régi­ment qui défile sur la route.
Il veut s’engager dans l’armée, mais son sou­hait va être dif­fi­cile à réa­li­ser. Lorsqu’il se pré­sente, le méde­cin mili­taire refuse de l’incorporer au pré­texte qu’il mesure 1,58 mètre, à peine plus grand qu’un fusil, et qu’il ne pèse pas lourd. Aussi, quand l’ordre de la mobi­li­sa­tion géné­rale est décrété le 1er août 1914, un offi­cier lui donne sa chance. L’entraînement est catas­tro­phique mal­gré les efforts déployés. Il est le souffre-douleur de ses com­pa­gnons. C’est un tri­bu­nal mili­taire qui, devant son insis­tance, l’envoie au front. Il rejoint le 27e bataillon de chas­seurs alpins…

La Grande Guerre, comme cer­tains se plaisent à la nom­mer, a fait l’objet d’une quan­tité astro­no­mique de publi­ca­tions his­to­riques, de témoi­gnages, d’analyses, d’œuvres de fic­tion. Elle a nourri l’imaginaire d’horreurs, de com­bats bar­bares. Elle a aussi donné l’occasion à des indi­vi­dus de se sur­pas­ser, de vivre une autre vie que celle à laquelle ils sem­blaient des­ti­nés.
Le scé­na­riste donne les grandes étapes de l’existence du héros, depuis sa volonté de défendre son pays, et détaille quelques-uns de ses exploits. Il montre aussi les obs­tacles qu’il a dû sur­mon­ter pour arri­ver à don­ner toute sa dimen­sion. N’a-t-il pas fait 1180 pri­son­nier alle­mands en trois ans, été blessé neuf fois, failli être condamné par un Conseil de guerre pour “déser­tion”? Julien Her­vieux montre aussi la rigi­dité des normes mili­taires, les a priori, les vexa­tions, le har­cè­le­ment de la part de ses com­pa­gnons moquant sa petite taille.

Si Éric Stal­ner use de son des­sin réa­liste au pos­sible avec son brio habi­tuel, il met en avant un per­son­nage qui n’a rien du phy­sique d’un super­hé­ros. Mais il sait insuf­fler sa volonté, son opi­niâ­treté, son désir de com­battre pour défendre son pays contre un enva­his­seur. Il res­ti­tue avec une belle vir­tuo­sité l’ambiance des com­bats, le dénue­ment des champs de bataille, les terres labou­rées par des explo­sions conti­nues.
Un pre­mier album qui rend un bel hom­mage à un homme cou­ra­geux, un héros resté dans l’ombre. Son his­toire est ser­vie par le scé­na­rio solide de Julien Her­vieux et la mise en images remar­quable d’Éric Stalner.

serge per­raud

Julien Her­vieux (scé­na­rio) & Éric Stal­ner (des­sins & cou­leurs), Albert Roche, Bam­boo, label “Grand Angle”, sep­tembre 2024, 64 p. — 16,90 €.

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