La République défend des idées humanistes, les met en avant quand il faut, mais dispose de pions anonymes qui lui permettent, dans des cas précis, d’oublier momentanément ces idées ou de regarder ailleurs. C’est le rôle du Tueur qui élimine des éléments dont l’existence met en péril trop de choses. S’ils sont connus puisque des responsables au plus haut de la hiérarchie leur assignent leurs missions, ils restent totalement cachés.
Depuis le début de la série, commencée en octobre 1998, le personnage principal est un tueur professionnel présenté comme un homme solitaire et froid, méthodique et consciencieux, qui n’a ni scrupules, ni regrets. Toutefois, le scénariste fait évoluer la carapace, ouvrant à des sentiments humanistes. Toutefois, s’attacher à une personne, c’est s’exposer à des dangers mortels car il faut la protéger. De plus, disparaître à deux est bien plus difficile.
Ce qui est fait est fait et il est impossible de revenir en arrière. C’est ce que pense le Tueur après son carton sur les gardes du corps de sa cible et après avoir recueilli la petite fille rescapée de la tuerie. Il refuse de l’abandonner, confie-t-il à Barbara, son contact à la police. Mais la mort du procureur, que les politiques allaient noyer en une affaire contre la République, provoque une panique dans le réseau. Les cibles sont en train de disparaître.
La mission continue pour atteindre ceux qui sont encore à proximité et ceux qui se croient hors de danger en attendant de traquer ceux qui sont plus loin. Or, quand deux nuits après le départ de Barbara, dans la maison où le Tueur et l’enfant sont endormis, un commando fortement armé arrive avec des intentions très belliqueuses, qui peut avoir trahi…
Le scénariste fait tenir de nombreuses réflexions pertinentes à son héros sur l’état de la société. Celles-ci sont intégrées de belle manière dans les planches, sous forme de cartouches à la lecture plaisante et aisée. Il cite des auteurs et place une blague qui a cours aux USA selon laquelle il vaut mieux est riche et coupable que pauvre et innocent, plaisanterie qui peut s’appliquer, hélas, dans toutes les régions du globe.
Luc Jacamon assure dessins et couleurs depuis le premier tome. C’est dire s’il possède son personnage qu’il campe de façon très réaliste mais de manière minimaliste pour le bas du visage. Il ne montre presque jamais ses yeux qui sont soit fermés, soit dissimulés derrière des lunettes opaques. Ainsi, dans le présent album, une seule vignette ne montre qu’un seul œil. Le travail sur les décors est conséquent et les scènes d’action sont énergiques au possible.
Va-t-on encore suivre les aventures de ce mystérieux personnage quant à la teneur de la conclusion de ce second tome du diptyque ? Il faut le souhaiter vivement car c’est un régal de lecture, une série qui anoblit, si besoin était, la bande dessinée.
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serge perraud
Matz (scénario) & Luc Jacamon (dessins et couleurs), Le Tueur, Affaires d’État — t.06 : Rigor Mortis, Casterman, octobre 2024, 64 p. — 12,95 €.