Le survol d’un millénaire de condition féminine
Dans cet essai presque exhaustif, l’auteur mène un regard approfondi sur le corps féminin, que ce regard soit celui des hommes, son approche du Moyen Âge à aujourd’hui, ou aussi le traitement que les femmes ont fait de leur anatomie.
Depuis toujours, la vie quotidienne des femmes a été, en grande partie, conditionnée par le regard que les hommes ont porté sur leur corps. Stanis Perez livre une synthèse critique en observant les grandes évolutions qualitatives à partir des écrits laissés par d’innombrables témoins, au fil des siècles. Il montre comment l’image du corps féminin a traversé le temps depuis l’époque des Croisades.
L’essai se compose de quatre parties complétées par une bibliographie pléthorique et une belle liste des personnages cités et de références.
Dans son introduction, il évoque le Complexe de Cléopâtre, cette femme désirée, adulée, rejetée et exécutée. Puis, il revient vers ce Moyen Âge où l’Église catholique, qui n’est pas à une contradiction près, idéalise la Vierge, son corps immaculé et stigmatise celui des femmes. Et l’auteur précise qu’il ne s’agit pas d’un jeu de mots car il y a bien stigmatisation dans les deux sens. Avec ces corps de saintes, de mystiques, l’auteur inscrit leurs souffrances dans une tentative d’un lien corporel avec celui du Christ dans son supplice. Ainsi, elles inscrivent leur regard dans un fiancé céleste.
Tirant ces mortifications de textes, Stanis Perez se pose la question de savoir si les auteurs de ces hagiographies ne surjouent pas, ne se laissent pas aller à une certaine complaisance à destination d’un public en quête de sensations fortes. Et La Légende dorée, ouvrage rédigé en latin entre 1261 et 1266 par Jacques de Voragine, dominicain et archevêque de Gênes, cette compilation de martyres est un des supports de cette ineptie avec son réservoir presque inépuisable de tortures.
Mais, outre les religieux, la société médiévale est particulièrement brutale à l’égard des femmes même en période de paix. Les chevaliers ne sont pas les derniers à forcer des dames. Cependant, il se manifeste des dames pourvues d’un fort caractère, d’un tempérament bien trempé. Deux figures ont émergé au XIVe siècle mais, souffrant d’une solide censure, elles n’ont pas laissé beaucoup de traces, que ce soit Jeanne de Montfort (ou de Flandres) et Jeanne de Clisson.
C’est aussi l’acharnement, pendant les Guerres de religion, en direction des femmes. Elles sont le lien direct avec la maternité et la fonction nourricière. Donc, le viol est plus que jamais une arme de guerre que les deux camps mettent en œuvre pour détruire ce corps capable de donner de nouveaux hérétiques. On est toujours l’hérétique de quelqu’un.
Or, les Catholiques avaient trouvé un filon pour contraindre les femmes grâce à la sorcellerie, à la possession par Satan. Ces sorcières, il faut les exterminer car beaucoup possèdent un savoir supérieur à celui des moines et religieux qui les traquent.
Le siècle des Lumières, la Révolution et les régimes qui ont suivi n’ont guère donné de places aux femmes même si celles-ci ont été plus nombreuses à entrer dans l’Histoire. Mais statiquement, par rapport à l’augmentation de la population des mâles, le compte n’y est pas.
Dans une conclusion, l’auteur, s’il pointe les progrès des cinquante dernières années comme le choix de la maternité, l’usage de son corps, brosse tout ce qui subsiste encore, les nombreuses maltraitances des femmes. Des peuples entiers de femmes sont réduits au silence, à l’oubli, à l’effacement au nom de croyances stupides. C’est aussi la dictature de la minceur qui amène une autre violence, que ce soit les régimes, la chirurgie… Et c’est aussi le règne du porno qui réduit les corps féminins à des seuls objets de plaisir.
Avec cet ouvrage, Stanis Perez signe un essai remarquable, d’une belle érudition qui met en lumière la violence contre les femmes à partir de ce corps à la fois si désiré et si maltraité.
serge perraud
Stanis Perez, Le Corps des femmes — Mille ans de fantasmes et de violences XIe — XXIe siècle, Éditions Perrin, août 2024, 432 p. — 25,00 €.