Entre quête de profits et survie d’un peuple
On retrouve dans cette nouvelle enquête de la Police des rennes, la cinquième, le duo de héros Klemet Nango et Nina Nansen. L’action se déroule en Laponie le territoire des Samis. Or, quatre pays se partagent cette région d’une superficie d’environ 400 000 Km². Le romancier évoque le tracé de ces frontières, l’époque où des éleveurs, comme le grand-père de Klemet, avait perdu de précieux pâturages côté finlandais, n’ayant plus suffisamment du côté norvégien pour faire vivre suffisamment de bêtes.
Le vendredi 23 juin, c’est midsommar, le solstice d’été, 24 heures d’ensoleillement garanti, l’occasion d’une grande fête, de beuveries. Klemet Nango a failli percuter deux fêtards sur un quad. Mais ce sont d’autres raisons qui le mettent en colère. Berit Kutsi, sa vieille amie, lui garde depuis un an une femelle renne en toute illégalité. Or, celle-ci a été découverte par un éleveur.
Anja, la sœur d’un éleveur, est en Laponie suédoise. Elle traque un loup, un animal protégé, mais qui fait des dégâts dans les troupeaux.
Dans les Alpes de Haute-Provence, Joseph Cabanis veille devant les cadavres de ses deux brebis tuées par un loup. Il ne partira pas tant que l’équarrisseur ne les a pas emmenées.
La mine de fer LKAB, la plus profonde et les plus grosse d’Europe, donne du travail aux éleveurs mais impacte les pâturages. Et quand ses prospecteurs découvrent un exceptionnel gisement de terres rares, le gouvernement suédois, propriétaire, va-t-il mettre en balance le sort de quelques éleveurs face à la perspective de profits ?
Et c’est le drame quand un train géant de la mine percute un troupeau et tue quelques dizaines de bêtes.
De plus un attentat, des trépassés, des cadavres vont mettent la Police des rennes sur le pied de guerre. Or, Klemet fragilisé par son passé et les souvenirs familiaux dramatiques…
Les structures professionnelles des éleveurs sont décrites avec précision. L’auteur détaille ces Sameby — Village Sami en suédois — qui représentent en fait un vaste territoire, l’aire de travail d’un groupement d’éleveurs de rennes. Au sein de cette communauté des jalousies polluent l’ambiance, des jalousies intérieures et des jalousies extérieures parmi ceux qui aspirent à en faire partie. L’obtention du statut d’éleveur, de posséder une marque qui identifie ses bêtes, est très difficile et Klemet va en faire la pénible expérience. Or, la loi est claire, pas de marque, pas de renne.
Olivier Truc explicite les coutumes, l’écosystème complexe qui régente la vie des troupeaux, le partage des pâturages, la chasse et la pêche. Les loups, les ours et les gloutons — les carcajous — rôdent autour des bêtes.
La présence de cette mine géante pose de gros problèmes pour l’élevage, et cette gêne va s’amplifier quand elle deviendra un enjeu national crucial au point de susciter des actions extrêmes. Or, celle-ci est à la fois une source de tracas pour les éleveurs et aussi de revenus, une dualité bien difficile à assumer.
L’action servie par une intrigue solide n’est pas oubliée, le romancier mettant tous les moyens pour développer suspense et tensions. Il installe des conflits, des situations intenses, des rivalités, du racisme, des enjeux économiques considérables et, outre son duo de héros particulièrement attachant, des personnages bien singuliers. Il introduit un trublion dont l’ignorance des lois tacites va mettre à mal un équilibre déjà précaire.
Avec ce Premier Renne, Olivier Truc propose un roman magnifique à de nombreux points de vue dans ce grand Nord étonnant, avec une intrigue retorse et une galerie de protagonistes bien choisis.
serge perraud
Olivier Truc, Le Premier Renne, Éditions Métailié, coll. “Littérature d’autres horizons — Noir”, août 2024, 528 p. — 22,00 €.