Lorsque Benoit XVI, il y a un an, a renoncé au trône de Saint-Pierre et s’est retiré du monde, les médias ont bien voulu reconnaître la grandeur de son geste. Ils étaient en fait heureux de voir enfin partir celui qu’ils avaient traîné dans la boue pendant huit ans. Aujourd’hui, les louanges adressées à son successeur, bien trop bruyantes pour être honnêtes, et formulées à la manière hypocrite qui sied au démon, servent à rejeter son pontificat dans les ténèbres, à le ramener à une sorte de mauvais rêve.
Lorsqu’on voit arriver le livre de Nicolas Diat, on s’attend donc au pire. Et c’est tout le contraire qui advient ! L’ouvrage n’est ni une biographie ni un récit classique du règne de Benoit XVI. C’est une analyse de l’ensemble du pontificat centré sur les obstacles que les ennemis du successeur de Jean-Paul II, qui n’ont jamais admis son élection en 2005, ont dressés sur sa route, et ce, si l’on en croit l’auteur, dans un unique but : le faire partir.
Ecrit dans une très belle langue française – ô rare qualité ! – capable de retranscrire les émotions des acteurs de ce drame et d’en communiquer d’autres au lecteur (ayant moi-même vécu la période de la sede vacante et l’élection du pape François à Rome, j’ai retrouvé dans le livre ces sensations uniques de « Rome sous la pluie »), le livre se concentre uniquement sur les évènements au sein de la Curie. C’est certes réducteur (les loups médiatiques ont joué un rôle central dans la déstabilisation du pontificat) mais aussi passionnant car Nicolas Diat nous entraîne dans les arcanes de la Curie, et on en sort troublé !
Il construit son étude sur sa connaissance visiblement solide du Vatican, sur une lecture minutieuse des textes de Benoit XVI qui sont cités et analysés, et sur des témoignages nombreux de cardinaux et de monsignori. L’ouvrage souffre hélas du « péché journalistique », c’est-à-dire que l’auteur ne cite pas ses sources, offrant ainsi le flanc à d’inévitables critiques.
Qu’est-ce qui ressort de ce volumineux livre ? Tout d’abord, un portrait d’une grande finesse de Benoit XVI. L’Eglise catholique, en 2005, s’est donnée un pape d’une puissance intellectuelle hors du commun, un homme d’une culture à couper le souffle, un analyste pertinent de la situation de l’Eglise, du christianisme et de l’Humanité qui ne correspond pas à l’image du pessimiste sans espoir qu’on a bien voulu faire de lui. La pensée de Ratzinger est expliquée avec une grande finesse, que ce soit à propos de Vatican II, du relativisme, de l’œcuménisme, de la liturgie, du relativisme. A l’image des moines pour lesquels il éprouve une admiration sincère, il a construit son combat spirituel autour de la prière, du travail et de la culture.
Ensuite, Nicolas Diat nous apporte des informations capitales sur les manœuvres des hauts prélats de la Curie qui, d’une manière ou d’une autre, ont œuvré pour entraver Benoit XVI. On demeure confondu par la description des intrigues et des complots chez des hommes qui semblent avoir oublié la force de la prière et de l’Amour. Le pouvoir corrompt, c’est un fait ! En outre, le pape ne semble avoir été aidé ni par son entourage ni par sa bienveillance, ni par sa tendresse à l’égard de ses collaborateurs. Entre malveillance, maladresses, incompétences, incompréhensions, il devenait difficile de survivre. Avec Vatileaks, on tombe dans le complot pur et simple au centre duquel Nicolas Diat place Mgr Piacenza et Domenico Giani, le commandant de la gendarmerie pontificale. Mais on comprend vite que les ramifications s’étendent bien plus loin… Le pontificat ne s’en relèvera pas.
Enfin, Nicolas Diat défend la thèse – inaudible actuellement – de la très grande continuité entre le pontificat de Benoit XVI et celui du pape François. Et ce sur plusieurs domaines comme la dénonciation de l’esprit mondain ou des forces de l’argent qu’attaquait déjà en son temps le pape allemand. Bergoglio a été transformé, en 2005, à son corps défendant, en challenger de Ratzinger pour lequel il éprouve une grande admiration. Benoit XVI a renoncé justement parce qu’il se sentait incapable d’affronter la Curie contre laquelle œuvre désormais le pontife argentin. Comme son prédécesseur, François « n’appelle pas à changer le fondement de l’Eglise, son identité, mais ses instruments de travail. » Cela suffira-t-il à convaincre les ratzingériens pleins d’inquiétude ?
Car enfin quel problème abominable Benoit XVI a-t-il posé ? Etait-il trop intellectuel, trop conservateur, trop catholique ? Trop fidèle à une belle liturgie éloignée des horreurs qui la défigurent depuis quarante ans ? Trop attaché à défendre l’héritage de Vatican II dénaturé par les médias et les progressistes ? Ce pontificat que Nicolas Diat définit comme celui du verbe avait en réalité vingt ans d’avance. Il a offert l’image de ce que sera l’Eglise quand les nouvelles générations en auront pris les commandes. C’est pour cela que les loups s’échineront à la déchiqueter.
En refermant ce livre, d’une hauteur intellectuelle indéniable, on ne peut que penser au prologue de l’évangile selon Saint-Jean : « Il est venu parmi les siens, et les siens ne l’ont pas reçu. »
frederic le moal
Nicolas Diat, L’homme qui ne voulait pas être pape. Histoire secrète d’un règne, Albin Michel, janvier 2014, 510 p. — 22,50 €