Partir au hasard, dans la nuit du cosmos…
L’enfermement reste une constance dans l’œuvre de Serge Brussolo, une constante dont il joue avec une maestria peu commune, dans tous les sens possibles du terme. Il met en scène des enfermements physiques, ici dans la forteresse, dans le navire spatial, mais aussi psychologiques avec des adhésions à des croyances, des religions toutes plus délirantes les unes que les autres. Mais ses fictions s’inspirent de ce qui existe sur la Terre.
Il pousse ses idées, en explore toutes les possibilités comme toutes les conséquences. Ici, l’exploitation qu’il fait du rejet de la science, de la promotion de l’ignorance est magnifique et effrayante. Mais, n’est-ce pas ce que vivent, par exemple, les Afghanes sous le régime abject des Talibans ?
Sur Terre, c’est le Grand Déclin après la Cinquième Guerre mondiale. L’Église du Jaguar enseigne une croyance alimentée par la haine du modernisme, de la science, du progrès. Il faut vénérer l’ignorance.
Julia, dix ans, ne comprend pas ses parents, des adeptes inconditionnels de cette religion, une religion qui prône des sacrifices humains. Aussi, quand la loterie les désigne pour le futur sacrifice, elle s’enfuit, pourchassée par ses parents. Elle est sauvée par Wladimir Octobus qui la cache le temps qu’ils puissent partir. C’est un agent recruteur qui travaille pour la Nouvelle-Atlantide, nouvelle appellation de l’Australie. Il est chargé de repérer ceux qui ont l’esprit critique pour en faire, dans son pays, l’élite de demain.
Quand Julia, au terme d’un voyage éprouvant arrive, elle est face à une gigantesque forteresse car le pays doit lutter contre des envahisseurs. Mais, à la Nouvelle-Atlantide, les responsables préparent la migration générale des humains vers des galaxies inconnues. Et Julia, pendant douze ans, va se former en vue de ce voyage, partir sur une nouvelle planète avec des colons.
Mais derrière les discours, derrière la protection dont l’entoure Octobus…
Le romancier met en avant le problème de la nourriture sur ces terres ravagées. L’embarras se résout pour les religieux avec les sacrifices humains pour limiter la population et par les scientifiques avec des blocages de la procréation. Il détaille les interrogations angoissantes des personnages, jouant, avec une belle maîtrise des incertitudes, des doutes qui germent face à des situations, des paroles. C’est l’empereur du questionnement, de la remise en cause, qui débouche sur une prise de conscience, sur un contexte de danger, sur une conjoncture difficile. C’est ainsi que Julia remet en cause ce qu’elle voit, ce qu’elle entend, ce qu’elle croit percevoir et réalise le but final de la manipulation.
Avec Serge Brussolo les voyages interplanétaires ne sont pas de tout repos. Entre les risques de handicaps de toutes natures, de morts, il faut une bonne part d’inconscience pour monter dans la fusée.
Avec ce nouveau livre, l’auteur — qui prête à un personnage l’écriture d’une de ses séries fantastiques — explose les règles du space opera, donne un texte de science-fiction mettant en perspective nombre de situations actuelles.
serge perraud
Serge Brussolo, Le hasard et la nuit, Éditions H&O, mai 2024, 256 p. — 19,00 €.