Confrontés à la folie des adultes…
En avril 2016, l’Unicef (Fonds des Nations Unies pour l’enfance) invitait Jean-Denis Pendanx au Soudan du Sud pour animer des ateliers de dessin dans un camp de personnes déplacées. Il s’agissait de créer une fresque sur l’un des murs de Bentiu. Ce camp regroupait des Soudanais pris en charge par le PoC — Protection of Civilians -, une structure gérée par les Nations-Unies. Cette prise en charge a été nécessitée par un conflit qui a éclaté en décembre 2013 entre le président en titre et son ancien vice-président.
La guerre civile, attisée par la haine entre groupes ethniques, a amené plus de deux millions et demi de Soudanais à quitter leur foyer. C’est dans ce contexte que se situe ce récit, dans le camp de Bentiu où plus de cent-vingts mille personnes étaient réfugiées.
Nialony, une petite fille, a été séparée de ses parents. Identifiée, elle est ramenée vers eux et vers Georges, son grand frère. Celui-ci s’est intégré dans le camp et dispose de nombreux repères qu’elle n’a pas. Il l’a prend sous son aile lui faisant découvrir son nouveau mode de vie. S’il se montre protecteur, il est parfois brutal sans vouloir être méchant. Mais, Nialony, qui a vécu vingt mois séparée des siens, se montre à la fois timide, réservée, attentive et déterminée.
Le camp est une île, un fort gardé par les troupes de l’ONU car des rebelles rôdent, sont à l’affût, pour capturer des jeunes et en faire des enfants-soldats. Le danger est très présent…
Avec ce couple de héros, l’auteur raconte une histoire authentique à la fois terrible et touchante. Il montre de belle manière la façon dont ces enfants prennent en compte leur environnement, s’adaptent, leur comportement pour faire face à leur situation. Le dessin, Georges en est passionné, est un outil qui permet d’exprimer des ressentis, d’évacuer des agressions.
Il montre la poésie qui se dégage de leur comportement, de leur manière de voir les choses, comme cette rencontre avec un marabout, cet oiseau qui est réputé être le plus laid d’Afrique. Celui-ci explique à la petite fille, avec une belle ironie, son adaptation à cette guerre civile, son rôle actuel, la manière dont il vit, profitant du conflit. C’est aussi un témoignage sur les membres des ONG, sur leur travail pour aider ces populations en souffrance. Il témoigne également sur le sort de ces enfants enlevés, ces filles pour servir (je vous laisse deviner !), ces garçons pour porter des armes.
Un dossier très étoffé, établi avec le concours de Perrine Corcuff, membre de l’Unicef à Bentiu, clôture l’album. Les commentaires, informations sont illustrés par des photos prises dans le camp pendant la réalisation de la fresque et des illustrations inédites. Publié en partenariat avec l’Unicef France, les Éditions Maghen reverseront 0,80 € par album vendu.
Le dessin très réaliste, en couleurs directes, met en scène ce que l’auteur a vu, ce qu’il a retenu. Jean-Denis Pendanx joue avec les teintes chaudes pour une authenticité de la nature, de la terre. Il met en images, avec précision, le parcours de ces deux enfants, multipliant les perspectives pour donner une idée exacte de ce qu’est ce camp.
Un album d’une grand richesse humaniste même s’il montre les conséquences d’ambitions démesurées, de rêves de détraqués qui veulent leur petit pouvoir quel qu’en soit le prix pour les autres.
serge perraud
Jean-Denis Pendanx, L’œil du marabout, Éditions Daniel Maghen, février 2024, 160 p. — 26,00 €.