Un choc psychologique violent, un environnement engendrant le malaise, des fantasmes, une nature imprévisible et qui semble hostile sont les ingrédients sur lesquels Erik Kriek construit son nouveau récit. Le deuil d’un enfant, d’un être aimé est toujours douloureux et propice à enfanter des drames, générer des psychoses.
En mettant un couple fragilisé par des événements dans un cadre isolé, entouré de croyances, de légendes, la tension croît naturellement. Le récit se teinte alors d’effroi, de désarroi, de passions troubles, de recherches inquiétantes, voire de psychoses.
Un orage, déracinant un gros arbre, va donner l’occasion à une mare de se former dans la cavité nouvellement créée. Peu de temps après, Huub et Sara Kuylder aménagent dans la maison dont il a hérité à la mort de son grand-oncle. Elle est artiste peintre, il est architecte. Ils ont besoin de faire leur deuil après la mort tragique de leur fils de huit ans renversé par une voiture.
En attendant les déménageurs, ils visitent leur nouveau domaine, la forêt qui entoure la maison. Ils arrivent vers cette mare qui fascine et effraie Sara. Sur les arbres environnants, d’étranges signes sont gravés. Ils font connaissance de leurs proches voisins, un couple dont la femme met en garde Sara. Elle est en danger. Sa douleur est un phare.
Ils aménagent la maison selon leurs goûts et Sara se remet à peindre. C’est quand elle découvre des carnets de croquis du vieil oncle que ceux-ci vont l’amener à…
Peu à peu, le scénariste emmène son lecteur dans des zones où la folie le dispute à l’angoisse, où la réalité s’efface au profit de visions, d’étranges obsessions rendues possibles par une propension à des croyances anciennes.
Pour rendre cette ambiance glauque, Erik Kriek assure un graphisme réaliste où le noir, sous forme de touches, de taches, de hachures, domine et rend magnifiquement l’effet escompté. Ce choix de dessin offre des possibilités de créer une tension, de rendre des expressions naturelles parfaitement inquiétantes, des attitudes suspectes. La couleur, essentiellement composé de bistre concourt à renforcer ce sentiment, met en avant la progression vers la folie.
Un album qui mérite le détour pour son intrigue et pour le traitement graphique bien particulier mais si riche en évocations, en sensations, en émotions.
serge perraud
Erik Kriek (scénario, dessin et couleur), La mare, Éditions Anspach, février 2024, 136 p. — 29,00 €.