Denis Lapière & Eduard Torrents, Le convoi

 La Reti­rada, un drame poignant

Avec l’histoire fami­liale d’Angelita, Denis Lapière aborde nombre d’épisodes dra­ma­tiques authen­tiques. Certes, ce récit n’est pas un docu­men­taire sur la Reti­rada, cette migra­tion de près d’un demi-million d’Espagnols qui fran­chissent en 1939 la fron­tière des Pyré­nées, dans de ter­ribles condi­tions. Mais il s’appuie sur cette catas­trophe huma­ni­taire pour ins­tal­ler un récit, une intrigue d’une belle expres­si­vité.
Il raconte les pre­miers camps où furent par­qués les arri­vants. Il met en scène le convoi des 927, ce pre­mier trans­fert de pri­son­niers par­tant des bara­que­ments des Alliers, près d’Angoulême, pour le camp de concen­tra­tion de Mau­thau­sen. C’est la souf­france de ces exi­lés face à l’impossibilité de pou­voir retour­ner au pays natal tant que Franco est en vie.

À Mont­pel­lier, ce jeudi 18 novembre 1975, Ange­lita s’est arrê­tée pour prendre un verre avec Richard qui tra­vaille, comme elle, chez Alpha-Pharma. Et ce n’est pas la pre­mière fois. Elle res­sent le désir chez son vis-à-vis. Son quo­ti­dien lui pèse, mais ce quo­ti­dien va être bien bous­culé quand, le len­de­main matin, René, son beau-père, lui télé­phone. Bou­le­versé, il l’informe que sa mère est hos­pi­ta­li­sée à Bar­ce­lone alors qu’elle était cen­sée être en Auvergne avec un groupe d’archéologues.
Elle part immé­dia­te­ment par le train avec René. C’est pour ten­ter de com­prendre qu’elle raconte com­ment, fillette de huit ans, elle est arri­vée en France. Ses parents fuyaient les bom­bar­de­ments de Bar­ce­lone par les troupes de Franco. C’est le début en voi­ture, puis à pied pour pas­ser au Per­thus. Les gen­darmes, à la fron­tière, séparent les femmes des hommes et Ange­lita dit au revoir à son père. C’est l’arrivée, avec sa mère au camp d’Argelès, dans le dénue­ment le plus total.
Mais, ce n’est qu’en mai 1946 qu’une lettre les informe de la mort du mari et du père au camp de Mau­thau­sen, en Alle­magne. Ange­lita tou­te­fois n’est pas au bout de ses sur­prises car…

Le scé­na­riste, à l’instar de ses autres récits, part de l’intime pour bros­ser une vision his­to­rique. Cepen­dant, il ins­talle une intrigue avec des secrets entre­te­nus pen­dant des années pour ne pas désor­ga­ni­ser une situa­tion qui, en appa­rence, a trouvé un équi­libre. Il convie cette jeune femme à une quête de vérité quelque trente ans plus tard.
Eduard Tor­rents assure un des­sin dyna­mique ren­dant pal­pable toutes les émo­tions qui tra­versent le récit, que ce soient celles d’Angelita quand elle était fillette, puis plus tard, quand femme elle part à la recherche d’une vérité. Il donne les traits essen­tiels, s’attachant à cam­per au plus près une réa­lité. Il était très concerné par ces évé­ne­ments car un de ses oncles était parmi ces popu­la­tions dépla­cées. La mise en cou­leurs est due au talent de Marie Froi­de­bise qui rend les ambiances délé­tères avec tact et réalisme.

Cette inté­grale regroupe les deux tomes parus en 2013, enri­chi d’un cahier his­to­rique réuni par Chris­telle Pissavy-Yvernault, détaillant nombre des évé­ne­ments du récit. La réédi­tion est une belle ini­tia­tive pour rap­pe­ler ces souf­frances bien oubliées d’une popu­la­tion contraintes à l’exil. Figue­ras, par exemple, n’était plus qu’un champ de ruines.
Le convoi raconte un drame his­to­rique et humain vu par les yeux d’une fillette de réfu­giés espa­gnols, un récit poi­gnant qui n’est que trop d’actualité.

serge per­raud

Denis Lapière (scé­na­rio), Eduard Tor­rents (des­sin) & Marie Froi­de­bise (cou­leurs), Le convoi, Dupuis, Label “Aire Libre”, mars 2024, 136 p. — 27,95 €.

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Filed under Bande dessinée, Chapeau bas

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