Le cap Sizun et Kenneth White

A quoi servent les vacances – ce temps mort qu’alourdit un armis­tice ima­gi­naire ? à apprendre le bre­ton. Dali deman­dait : « quelle était la dif­fé­rence entre un fou et moi ? Moi, je ne suis pas fou » rétorquait-il. Je doute très for­te­ment que ce fut le cas, sinon il n’aurait pu com­mettre l’erreur de voir Per­pi­gnan comme le centre du monde.

Selon mes cal­culs, confir­més par plu­sieurs titu­laires de la médaille Fields de mes amis, le centre de la Voie Lac­tée se situe à Pont-Croix au cap Sizun car, à la dif­fé­rence de tous les autres lieux et du cas­sou­let, ici, la beauté se décrète. Si tel n’était pas le cas, la poé­sie ne ferait que pro­lon­ger un arrêté muni­ci­pal. Apprendre une langue que per­sonne ne parle mais qui s’avère être le point d’entrée de la roche, de l’estran et de l’adoption est le sen­tier le plus rapide pour aller d’un non-lieu vers l’absence de des­ti­na­tion sans que l’absurdité ait voix au chapitre.

En lisant Un monde ouvert, antho­lo­gie per­son­nelle de Ken­neth White, j’ai mieux com­pris pour­quoi la Bre­tagne m’avait adopté, avec son soleil qui est « une bet­te­rave enfouie dans la boue ». Au sens lit­té­ral, la Bre­tagne est une mai­son de redres­se­ment. On y oublie la bêtise cal­cu­lée de la société, l’inutilité mala­dive de ce qu’on fait, achète, pro­duit. On s’y redresse, déso­cio­lo­gi­sant notre huma­nité pour redé­cou­vrir « mon cœur nu / et ma cer­velle ouverte au vent ». On rede­vient le gar­ne­ment qui connaît à « la fin / dedans le crâne, dedans les os / le sen­tier du vide ».

Ici, dans le réseau télé­gra­phique des cha­pelles éga­rées, un gar­ne­ment signi­fie la jonc­tion entre le degré d’isolement et l’archaïsme du sen­ti­ment amou­reux. Vous connais­sez le des­tin tra­gique de Plu­ton ? Comme elle ne domine pas son envi­ron­ne­ment en ayant dégagé le voi­si­nage de son orbite, elle a été rétro­gra­dée de pla­nète en pla­nète naine. Le cap Sizun repré­sente l’exact opposé. Il est seul, sans voi­si­nage, tra­çant son che­min, encom­bré de quelques camping-cars qui s’écrasent comme des météo­rites minus­cules dans le non-soleil et la drache.

C’est à pied que l’on entre dans « l’Académie des goé­lands ». Et puis, en mar­chant sur la côte, en man­geant de la vague avec son fils, en espé­rant le retour de sa femme dont les yeux sont un ber­ceau d’hortensias, en jouant à la pétanque une dremm­wel en main, « vers le rivage sonore / anté­rieur à toutes les his­toires », on s’aperçoit que nous aussi comme la mer qui « éla­bore avec les débris /… / son opus geo­lo­gi­cum », nous sommes comme une dis­per­sion du vent et des épi­pha­nies dont il est le trafiquant.

Voilà pour­quoi j’apprends le bre­ton car il fait de ce que nous étions, lorsque l’on croyait encore aux cra­vates, une manière de langue morte. Et quoi de plus nor­mal pour apprendre le bre­ton que de lire un Écos­sais, en pen­sant à Plou­gres­cant qui est, en même temps, un « cul-de-sac cultu­rel » et la porte d’entrée de l’amour fou, là où jus­te­ment la culture s’avère être tou­jours une acti­vité de seconde main.

valery molet

Leave a Comment

Filed under En d'autres temps / En marge

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>